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Les jeux d’influence autour du Gabon

Publié le 28 décembre 2009 par Infoguerre

L’histoire du Gabon n’est pas différente de celle de beaucoup de pays d’Afrique ; c’est un pays au sous-sol riche (pétrole, uranium, minerais, bois précieux), pourtant rongé par la pauvreté, l’incurie et le clientélisme. Convenablement gérées, ces richesses auraient dû faire du Gabon " le Koweït de l'Afrique ", et permettre la création d'un tissu industriel. On en est loin. En 2004, Libreville, membre de la zone franc, a été contraint de rééchelonner sa dette bilatérale dans le cadre du Club de Paris avant de négocier, trois ans plus tard, avec le FMI un plan de réformes structurelles. L’Etat est incapable de faire des investissements seuls et nécessite pour l’exploitation de son pétrole des firmes pétrolières qui profitent de cette relation simplifiée. Dès lors, des réseaux se forment et s’entretiennent entre l’Etat, les compagnies pétrolières et leur pays d’origine.

De part son histoire, c’est la France qui, depuis les années 60, impose sa stratégie et use de son influence. En 1962, il fallait assurer la perte de l’or noir algérien et la régularité de l’approvisionnement pétrolier. Pierre Guillaumat, nommé par le Général De Gaulle à la tête de l’UGP puis d’Elf-Erap, a pour feuille de route de sécuriser le pétrole africain en utilisant Elf comme ministère officieux du Pétrole et officine de renseignements. D’emblée, le Gabon devient un pays stratégique pour les intérêts français. Elf y exploite du pétrole depuis 1957. Son attrait se renforce en 1962 avec la découverte et l'exploitation des premiers gisements offshore. Il devient rapidement un véritable protectorat de la République. Le pétrole, matière stratégique incite de nombreux pays à abuser de violence et, plus généralement, d’ingérence. Ainsi, lors de la tentative de coup d’Etat contre le président gabonais Mba en 1964, c’est Jacques Foccart, conseiller à l'Elysée pour les affaires africaines, Pierre Guillaumat, le PDG de l'UGP, Maurice Robert, patron du service Afrique au sein du Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (Sdece), et Robert Ponsaillé, conseiller du groupe pétrolier et du président gabonais, qui le rétablissent en faisant usage de la force militaire. En 1990, tandis que le trône de Bongo vacille sur fond d'émeutes, le Premier ministre Michel Rocard envoie un robuste contingent rétablir l'ordre à Port-Gentil, tête de pont vitale au commerce de l'or noir. Omar Bongo, président gabonais pendant près de 42 ans, est un pur produit français, porté au pouvoir pour verrouiller le pétrole. Ancien des services secrets français, il prête serment à Paris et arrive au pouvoir en 1967 aidé de Maurice Robert, vétéran des réseaux Foccart et ancien du Sdece, puis chargé de mission auprès du PDG d'Elf et enfin, de 1979 à 1981, ambassadeur à Libreville. D’une manière qui n’est pas sans rappeler l’époque coloniale, la France continue de gérer et contrôler les politiques gabonaises de sorte que rien n’interfère dans la sécurité de ses approvisionnements en énergie.

C’est à partir de la plate-forme gabonaise qu’Elf étend son influence à toute l’Afrique. Elf développe en parallèle son propre réseau d’influence par la création d’un service de renseignements orienté vers l’Afrique, dirigé par Maurice Robert, ancien agent secret qui devient six ans plus tard ambassadeur de France au Gabon. Le groupe mène sa propre diplomatie sous la protection des autorités françaises.  Son service de renseignement a une influence telle, qu’à plusieurs reprises, les services officiels tenteront en vain de le supprimer. Elf est un véritable ministère et une autorité toute puissante au Gabon. Mais sa privatisation, en 1994, et son rachat par Total vont modifier ses intérêts qui ne seront plus exclusivement africains. Véritable multinationale, elle se détache progressivement des pouvoirs publics. Le schisme culturel s’agrandit après « l’affaire Elf ». Mais la France a aussi usé d’autres outils d’influence pour garder la mainmise sur le Gabon et son précieux pétrole. Ainsi, Jacques Foccart  fonde une arme redoutable qui a longtemps permis à la France de développer des réseaux solides et une communication influente : la " Françafrique ". Elf en devient dans les années 1970 le principal pilier. Cherchant officiellement à promouvoir les diversités linguistiques et culturelles ainsi que le respect des droits de l'homme, la Francophonie  est  officieusement l'occasion de réunir de nombreux acteurs de la coopération décentralisée et de la société civile.

Après 42 ans de règne, le décès du Président gabonais, emblème de la Françafrique, marque un tournant dans les relations des deux pays. Ali Bongo succède à son père alors que la France est suspectée de favoriser en sous-main une succession dynastique. Quel que soit le président au pouvoir, il se devait d’être en faveur de la France. Pourtant, arrivé à la présidence, Nicolas Sarkozy était favorable à une « rupture » franche, fondée sur les seuls intérêts mutuels. Jean-Marie Bockel et Jean-Pierre Cot, titulaires de la Coopération accuse le pays de mauvaise gouvernance et veulent abandonner la Françafrique. Mais les menaces d’Omar Bongo d’une détérioration des relations entre les deux pays provoquent la démission des deux titulaires. Même si elle conserve des relations privilégiées avec ses anciens territoires, elle n’apparait pas saisir les opportunités nouvelles et se cantonne à ses stratégies conservatrices. La France (comme l’Europe) concentre ses investissements en Asie. Elle baisse la garde dans tous les domaines. Elle s’efface dans le secteur du pétrole. Les entreprises freinent leurs investissements (1,55 % des investissements directs, contre 2,15 au plus fort des années 90) suivant une tendance au retrait issue du pouvoir. La baisse du soutien public, à travers notamment des organismes comme la Coface ou les budgets de coopération, génère un « afro-pessimisme » ainsi qu’une prudence des groupes sur leur stratégie africaine. Simultanément, l’armée française revoit son effectif à la baisse. Elle n'a plus les moyens d'entretenir un maillage serré en Afrique depuis sa réintégration du commandement de l'Otan. Le Gabon se sent victime du désintérêt de la France et de l’Europe au profit d’investissements en Asie. Les IDE sont concentrés dans la recherche et l’extraction de ressources. Le Gabon souffre aussi d’un profond ressentiment populaire envers l'ancienne métropole, tenue responsable de tous les maux d'un pays riche rongé par la pauvreté, l'incurie et le clientélisme. L’Etat français s’affaiblit, sa crédibilité est écornée. 

La nouvelle donne géoéconomique bouleverse le pré carré français.

La hausse des cours du pétrole et les progrès techniques ont rendu les coûts de production rentables et ont renforcé l’avantage compétitif du pétrole au Gabon. L’offshore profond a offert de belles perspectives d’investissement. La Chine l’a bien saisi. D’abord discrète, sa présence se fait envahissante. En 1992, elle devient importatrice nette de pétrole. Elle a donc besoin d’une stratégie d’approvisionnement en énergie sûre et diversifiée. A la fois source de matières premières et marché potentiel pour ses produits manufacturés, l'Afrique devient la priorité stratégique démontrée au travers de la «Chinafrique». Contrairement aux occidentaux, elle favorise le modèle de la coopération et du « gagnant-gagnant ». Pragmatique, elle joue les banquiers pour les pays producteurs de pétrole en difficulté tout en acquérant des actifs. Sinopec, le premier raffineur chinois, s’est ainsi offert, le 25 juin 2009, pour 7,2 milliards $, le suisse Addax Petroleum - le premier pétrolier indépendant en Afrique. C’est un événement majeur de la percée de l'empire du Milieu sur le continent. Jusqu'à présent, les compagnies pétrolières chinoises étaient surtout cantonnées au Soudan. Avec Addax Petroleum, Pékin s'offre des champs producteurs et, surtout, des permis prometteurs qui assurent pour un certain temps une partie de ses besoins énergétiques.

Les jeux d’influence autour des pays du pétrole sont l’expression de la puissance  des nations.  La présence historique française en Afrique ne suffit plus à concurrencer le dynamisme des forces économiques montantes. Sa stratégie doit être repensée dans le nouveau contexte géoéconomique actuel. Malédiction pétrolière,  le Gabon est exploité par et pour les puissances dominantes. Hormis une classe privilégiée, la redistribution est mal répartie. Le pays investit peu dans l’après pétrole. « Géant endormi », il a plus que jamais intérêt à assurer sa position en réformant sa politique en Afrique car elle doit aussi compter sur le projet Americafrique qui cherche à se défaire de sa dépendance énergétique d’un Proche-Orient jugé instable. 
 

Leïla Richard

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