"Le street art sans la rue ? A propos du cas coréen" par Skpop

Publié le 28 décembre 2009 par Blogcoolstuff

Lors du dernier salon "BlueDot Asia" (20-25 juin dernier), le Seoul Art Center consacrait une salle à quelques artistes se réclamant tous du street art. Pour ce groupe informel, réuni autour de l'aîné Coolrain (Chan-Woo Lee), il s'agit là d'une forme de reconnaissance et, pour moi, c'est l'occasion de proposer un éclairage complémentaire sur le sujet, cher à SCS, du street art au musée (voir notamment Street Art vs. White Cube).

(Monsterz Crew) Coolrain

(Krunk on Dunkeys) Coolrain x Seman10cm x Yoon Hyup

Pour l'observateur attentif, un rapide tour de Séoul ne manquera pas de révéler la nudité austère de ses murs. Graffitis, tags et stickers sont pratiquement absents du paysage de cette ville pourtant cinq fois plus grande que Paris. L'explication vient peut-être du sens civique des coréens qui hésitent à défigurer la propriété publique ou privée. Plus vraisemblablement, cela tient à l'omniprésence des caméras de surveillance ainsi qu'à la dureté du système pénal. L'immaturité de la street culture, encore très marginale, y est aussi probablement pour quelque chose.
Yoon Hyup

Gfx

Mais alors, qui sont ces soi-disant "street artists" et en quoi leur activité relève-t-elle de la rue ? Tout d'abord, ils sont jeunes. Hormis Coolrain, 39 ans, la plupart ont une vingtaine d'années alors qu'un artiste comme l'américain Futura a aujourd'hui 53 ans. Ils ne font donc pas partie de la vague des pionniers des années 70/80, ni même de la "deuxième génération" représentée par l'extension internationale du mouvement dix ans plus tard.
Hyeseung Choi

Do-Yeon Kim
Bastards
Ensuite, ils sont techniquement très compétents, ayant étudié le graphisme ou l'illustration dans une école d'art, et ils travaillent souvent pour des studios d'animation ou de jeux vidéo. Mais ce genre de boulot, s'il fait vivre, ne permet guère de s'exprimer, et ces artistes développent donc en parallèle toutes sortes d'activités. Ils créent des t-shirts et des stickers, ils peignent sur des toiles, sur des chaussures ou des skateboards, ils collaborent avec des micro-marques de vêtements ou même avec Nike et Adidas.
Wesly
T-Shirts Dunkeys
Tout se passe comme si on avait bouturé la culture street américaine, non pas pour la transplanter dans un nouveau terroir, mais plutôt pour la cultiver hors-sol. Il en reste des signes, des figures de style, des techniques... Mais quid du message et des revendications ? Je pense qu'il faut être prudent et nuancé sur la question : même à l'Ouest, tous les street artists ne sont pas motivés par un message politique et leur démarche relève souvent du pur narcissisme. Reste que le street art est généralement censé s'inscrire dans un discours contestataire et anti-establishment.

Je dois dire qu'en Corée, si contestation il y a, elle n'est pas frontale. Il faut plutôt parler d'une volonté d'exister "par soi-même" et de se situer dans un style qui n'est ni celui de la peinture traditionnelle orientale, ni de l'art moderne importé d'Occident et sanctionné par les musées. Le street art, pour ces artistes coréens, c'est la grammaire visuelle et les formes de production qui accompagnent un mode de vie et des valeurs en rupture avec celles de leurs aînés.
(Dunkey) Coolrain x Seman10cm
Ni traditionaliste et conservatrice, ni ultra-capitaliste et corporatiste, cette culture, "née dans la rue" mais poursuivie par d'autres moyens, représente l'affirmation de l'individu et de son environnement quotidien. La vie au plus bas niveau, celui de la rue, acquière légitimité et dignité dans la pratique de cet art qui n'a comme revendication que le fait d'exister et qui, par son accession à un organe institutionnel, obtient ainsi une (petite) reconnaissance. Aujourd'hui en Corée, ce n'est donc pas l'art qui investit la rue, mais la rue qui investit l'art.