Mukhsin (2006) est une véritable claque cinématographique. Une œuvre magistrale offerte par la talentueuse Yasmin Ahmad. Dernier long métrage de la cinéaste, Mukhsin jouie d’une maîtrise scénaristique et d’une réalisation à faire pâlir. L’œuvre est émotionnellement forte et pourtant Yasmin Ahmad joue dans un registre difficile qu’est l’invisible. L’émotion n’est pas grossière, elle est suggérée, imposée par une mise en scène subtile, sensible, qui perce comme un rappel aux souvenirs.
Dans un village malais, une famille fait parler d’elle par son mode de vie atypique, loin des conventions imposées par les codes culturels et la religion. Orked, la fille de cette famille est un garçon manqué et peine à se faire accepter de ces camarades. Un jour, une voisine reçoit pour les vacances un jeune garçon dont elle s’occupe , Mukhsin. La jeune Orked et ce dernier vont apprendre à se connaître, pour devenir inséparable…
Yasmin Ahmad dépeint avec tendresse le quotidien de cette famille et la relation tendre qui va naître ente Orked et Mukhsin. Elle ne déroge pas à son thème de prédilection avec le choix de cette famille en rupture avec la morale traditionnelle malaisienne. Véritable OVNI, les parents d’Orked vivent librement leur amour par des jeux et des taquineries au quotidien alimentant les cancans du voisinage. L’éducation de leur fille n’est pas en reste puisqu’elle se veut loin de la rigueur imposée aux autres enfants. Une famille libre et libérée dans une société malaisienne encore très traditionnaliste. Un regard audacieux et touchant d’une réalisatrice engagée sur des sujets loin d'épouser la morale établie.
Ce qui marque dans Mukhsin c’est la vigoureuse émotion qui tient dans chaque plan. Yasmin offre une liberté de ton, laissant une grande place à l’humour, qui permet au récit d’exister simplement sans apparent contrôle. Et c’est en cela que la réalisatrice excelle, dans le non contrôle apparent, dans la simplicité de faire suivre ces images du quotidien, ces instants magiques familiaux ou amoureux, qui fait naître en continu des sentiments profondément familiers.
Yasmin Ahmad dépeint ces personnages attachants par un équilibre entre rires et larmes, entre doute et joie dans une réalisation intimiste. On pense à la scène où la famille écoute Ne me quittes pas interprétée par Nina Simone, où l’ambiance débute dans les rires avec un oncle qui chante à tue-tête, pour basculer dans un moment d’une infime tristesse lors de l'apparition de Mukhsin en arrière plan. Un moment magique et d’une force prodigieuse.
Il dégage de ce Mukhsin une tendresse particulière, due en partie à une œuvre nourrie par l’enfance de la cinéaste, et un relief émotionnel bouleversant, c’est beau. Un film qui rend heureux comme il suscite la douce mélancolie. Un sentiment marqué et imperceptible nous envahie à sa sortie. Le générique de fin se veut trop court, d'ailleurs, pour qu’on puisse redescendre de ce fabuleux nuage... Yasmin Ahmad marque par une œuvre atypique et éblouissante qui donne déjà l'envie de la redécouvrir et anime l'enthousiasme de se délecter devant le reste de sa filmographie.
> Rediffusion le 23 janvier - cinéma 2 & le 28 février - cinéma 1
Diana