Où Future patiente avance, de chaise en chaise.

Par Ingridfarenheit
À SANDRINE, À TON COURAGE, À TA GUÉRISON, LÀ-BAS, DANS LE CLOS DU CHÂTEAU.

Au petit matin du 11 juillet, je me réveille tenue par les pieds, tête en bas, et secouée au-dessus du vide. Elle me ballote et je virevolte, yeux exorbités, chauve-souris aux ailes maigrelettes battant au vent. La seconde chimio.
Et je m'étonne de conserver la conscience chaque fois que ma tête se fracasse contre le mur de brique.
Tiens, me dis-je, il existe finalement quelque chose après la mort? Ou est-ce la mort elle-même au présent...? Alors quoi? Pas de tunnel? Et la lumière chevrotante au bout? Que nenni! Balivernes!
Je m'agrippe au hasard, croyant graffigner le vide, et attrape plutôt la couette fleurie rabattue sur ma tête. Mes yeux, que je croyais déjà ouverts, s'entrouvent sur la chambre bleue. Qui bascule. Je me jette en bas du lit et rampe jusqu'au grille-pain. Des rôties disait maman. Contre la nausée, la fièvre, le mal de vivre, rien de tel qu'une tartine grillée dégoulinante de... Bon, un rien de beurre suffira.
Tout s'annonçait pourtant fort bien, hier, jour du 2e traitement. Mon amie Jo écarquillait les yeux en reluquant la seringue rouge plantée dans ma main gauche, mais quelques bonnes blagues des patients voisins ont suffi à la détendre. Incroyable cette athmosphère bon enfant des salles de chimio, on jurerait que tout le monde y reçoit un banal manucure en papotant et s'échangeant des recettes de biscuits. Le dernier solde de foulards colorés ohez Simons et les meilleures marques de crayons à dessiner les sourcils y font fureur. Défiant les pronostics de l'infirmière, j'avais ensuite partagé un repas copieux en compagnie de Minoune Bébitte et la princesse Noémie était venue passer le nuit, juste au cas. Tout juste si elle ne m'avait pas lu une histoire avant de m'endormir, mon enfant, ma grande fille.
Un miracle les rôties. Confinée sur une île déserte, réduite à choisir un objet, j'ai toujours cru opter pour un livre, sans arriver à déterminer lequel. Je déclare aujourd'hui ce voeu désuet: qu'on me laisse un grille-pain. Je trouverai bien une graminée pour faire du pain et une abeille à qui voler du miel.
Gloire aussi à la pharmacienne en onco, laquelle a déployé tout son art pour coucher sur le papier les noms des antinausées les plus branchés. Sans lésiner sur la posologie, elle m'avait prévenue d'ingurgiter ses granules à heures réglées comme un coucou suisse.
Du pain et des gellules, le combat du romain moderne.
Le mercredi 11 juillet, mon jogging quotidien sur le bord de la rivière s'est limité à 50 secondes chronométrées. Pas une de plus. Au moment de flancher, j'ai trouvé cette chaise sur laquelle reposer, le temps de ralentir le tourbillon, de redevenir cette souris chauve qui s'accroche à ses 50 secondes d'envol, à ces visages tournés vers elle, à ces mains tendues. Le temps d'accepter la révision des objectifs.
Demain, je ferai de la marche rapide. Rien de plus. Mais rien de moins non-plus.