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Je ne sais pas pourquoi j'écris et ne veux pas le savoir. Je ne sais pas si je suis un écrivain et ne veux pas le savoir non plus. La question du comment m'intéresse davantage que la question du pourquoi. Comment ai-je jeté mon dévolu sur un carnet vert, entièrement vert, pour écrire une suite de poèmes intitulée Battre le corps ? Comment, après avoir délaissé ledit carnet pendant une quinzaine de jours, je ne le lâche plus pendant une autre quinzaine, même si je n'écris guère, même si je me contente de regarder le grain vert des pages vertes ? Et puis le poème vient. Tout d'un coup, (s'en méfier), ou laborieusement, après tant de ratures qu'il faut réécrire pour y voir clair. Dans un cas comme dans l'autre, chaque mot sera pétri et repétri afin de toucher au plus juste de quelque chose d'opaque, dont on ignore la majeure partie de la trame. Le poème ne pourrait pas venir sans ce mystère. Il ne le voudrait pas non plus car je crois avec Gombrowicz et tant d'autres que ce sont les mots qui nous mènent et non l'inverse. Ceci dit, j'ai conscience de n'avoir rien dit. Et c'est cette conscience-là qui me pousse à dire encore, à écrire encore. Sur n'importe quoi. Les poèmes de Battre le corps, même s'ils sont tenus par le fil d'une maladie, l'anorexie, même s'ils sont écrits dans un mélange de notations très précises, quasi chirurgicales mais avec des pointes aussi d'un pathos modéré, ne sont pas des textes sur la patiente qui souffre, ne sont pas non plus des textes sur moi. Evidemment, et c'est toujours du meilleur chic à affirmer, je peux ajouter que leur sujet est la langue elle-même, dans toutes ses fonctions de personnage agissant et d'environnement, de paysage. Mais à quoi bon ces arguties ? Paul Valéry disait que la poésie venait de l'intelligence et allait vers l'intelligence. Paul Eluard prétendait au contraire qu'elle venait du corps et allait vers le corps. Je les renvoie dos à dos les deux Paul et vous livre le poème que je viens de terminer. Il est venu tout seul. Méfiez-vous-en ! La maison sait ton absence Une pomme verte change de peau sur la table Un reste de lait fige au fond du bol Tes lèvres closes La porte du jardin bat Dans la lumière silencieuse J'allonge ma fatigue d'un peu de vin Je regarde mes yeux courir Sur la page d'un livre Les mots comme le lait Incapables de s'ouvrir P.S. : Je vous joins deux images du village de Boudou entre Tarn et Garonne. Mon cheval y erre encore aux confluents des temps perdus et retrouvés.