Je vous resitue l’affaire. Un certain jour de la semaine dernière, un colis contenant une bouteille de vin français débarquait dans ma maisonnette en même temps qu’une facture d’internet délirante. L’histoire de ladite facture vous ayant été narrée auparavant, voici celle du vin. Ce colis était un cadeau de deux gentilles fées françaises qui ont senti comme la faible stimulation de mes papilles gustatives ruinait peu à peu mon enthousiasme et mon moral. Et de peur que, réduite à l’état végétatif qui guette toute gourmande en mal de plaisir gastronomique, je cesse de produire ces merveilleux articles dont vous ne pouvez plus vous passer ( ! ), elles ont frappé un grand coup en me faisant parvenir ce délicieux nectar. Les bienheureuses !
D’abord, j’ai attendu un jour entier, intimidée par ce trésor qui me venait de France, et qui, là j’en étais sure, ne me décevrait pas. Je passais devant la bouteille, la regardais longuement, gloussais de plaisir et repartais. Et puis, je ne pouvais pas bâcler la dégustation. Il me fallait offrir à ce breuvage un accompagnement culinaire digne de lui. Pas facile au pays des snacks et des sandwiches. Mais comme l’enjeu en valait la peine, je me suis saignée (saignée ici ne signifie pas que j’y ai laissé ma paie –que je ne touche plus par ailleurs–, mais plutôt que j’ai passé des heures à me geler les miches dans les rayons réfrigérés et peu alléchants du supermarché) et enfin, Eurêka. Amoureusement, j’ai sacrifié, en offrande à ce provenditiel Crozes Hermitage 2005 qui allait incessamment me combler d’aise un avocat au crabe, un sauté de mouton aux amandes, quelques dés de citrouille à l’ail, et des fraises à la crème. Un peu loin de vos agapes gargantuesques de fin d’année, je vous l’accorde, mais on fait ce qu’on peut avec ce qu’on a. Pour moi, c’était gala !
Arriva alors le moment tant espéré de l’ouverture, avec une petite once d’angoisse à la dernière minute : avais-je un tire-bouchon ? Question incongrue après deux mois passés ici quand on connaît mon penchant délicieusement coupable pour cette boisson des dieux, me direz-vous. En effet, même si le vin néo-zélandais n’est pas toujours à la hauteur de mes attentes, je ne néglige toutefois pas de me soigner à coup de Shiraz rouge australien, ou de Sauvignon blanc de la Golden Bay (comme il se doit), mais le fait est que je n’ai jusqu’à présent pas eu besoin de tire-bouchon car… le croirez-vous ? les bouteilles de vin, ici, sont fermées par des capsules en métal, comme les bouteilles de Martini. Déprimant…
Bref, comme un bonheur ne vient jamais seul, j’ai dégoté, ô joie, un tire-bouchon tout neuf (pour cause) dans un tiroir crasseux de la cuisine dans lequel je ne regarde jamais. Et me voilà, bouille réjouie, yeux brillants, en train de manœuvrer cet objet divin au-dessus de ma bouteille. Ah ! Ce plop du bouchon qui jaillit du goulot, joyeux et prêt à la fête ! Comme il m’avait manqué ! Ah ! Cette couleur sombre qui emplit peu à peu le verre ! Ah, ce goût fort qui vous reste en bouche longtemps après que la gorgée se soit déversée tout entière dans votre estomac ! Ah, cette sensation râpeuse sur la langue que le vin vous laisse, comme pour vous confirmer qu’il a vous nourri autant que désaltéré !
Les mots me manquent pour décrire l’envolée jouissive que cet alcool raffiné provoqua sous mon palais. Ça dansait la gigue là-dedans ! C’est d’autant plus émouvant que depuis belle lurette maintenant la bouteille est vidée, rincée, recyclée. Quelle désolation ! Aussi m’interromps-je un instant pour accorder une pensée émue à feue ma bouteille de Crozes, putain que c’était bon !
Soyons honnête, je n’y connais rien en vin. Mais ma longue pratique de notre bibine nationale m’autorise à me croire capable de différencier un bon vin d’un mauvais (la base quoi). Je n’irai pas jusqu’à dire que le vin néo-zélandais est mauvais, allons, n’exagérons rien. Les producteurs locaux, portés par l’optimisme des débutants (ce pays produit du vin « sérieusement » depuis une vingtaine d’années seulement), se débrouillent plutôt pas mal en vin blanc, même s’ils se limitent quasiment au Sauvignon, au Pinot Gris et au Riesling. Le truc c’est que moi je n’aime pas tellement le vin blanc. Quand à leur rouge, Pinot Noir, Cabernet, Merlot, il est juste léger et clair comme un beaujolais, et moi je n’aime pas le beaujolais (Schtroumf grognon, on m’appelait, dans le temps). De toute façon, il n’y a pas débat, parce que même devant un vin délicieux, un vin à tomber, un vin à tuer (etc., amusez-vous !), un français, arrogant et vaniteux comme sa réputation le définit dans le monde, ne se sentirait-il pas un peu diminué d’admettre, surtout publiquement, que d’autres pays savent faire le vin « aussi bien » (« mieux » n’étant évidemment pas envisageable) ?