Ce n’est qu’une fois dans la gare que je me suis rappelée que, merde alors, c’était la période des fêtes. J’avais promis à ma mère de l’aider à transporter le sapin (papa ayant déclaré forfait) qu’elle achetait toujours au dernier moment. Mais ces conneries de Noël me faisaient vraiment, vraiment, chier : les faux pères Noël intermittents du spectacle, les épines de sapin qui se perdent partout, les pauvres arbres dépouillés de leur feuilles, enlaidis de décorations, ça brille et ça scintille, youpi, c’est Noël!
Dire qu’on me dit que je suis chiante à la fin, à jouer les pessimistes blasées! Ma mère avance même que j’envie tous ces gens qui fêtent Noël la joie au cœur. Eux qui sont si innocents…
Dehors, il faisait froid, un froid horrible qui tuait les clochards et faisait glisser tout le monde, sans même apporter de neige. Droit devant moi, il y avait un pont, tout joli avec ses fleurs en pot accrochées à la rambarde. Je l’ai traversé et à mi-chemin, à cet endroit ou la vue s’offrait totalement à moi, je me suis penchée pour voir la Seine.
L’anse de mon sac à main me faisait mal en plus de me faire marcher de travers. Porter ce grand sac supposé chic me rendait précisément semblable aux 98% des lycéennes.
Chaque jour, alors que j’émerge, je reste dans mon lit pendant 20mn, le temps qu’il faut pour forcer à me lever pour y aller. Je n’aime pas cet endroit. Je chauffe ma chaise et je lutte contre le sommeil.
Les autres bougent et crient: moi je reste assise à me demander ce que je fais dans un endroit qui me convenait aussi peu, à côtoyer de tels branleurs, qui passent leur temps à critiquer les autres derrière leur dos, tout en priant pour qu’on ne fassent pas de même. Certains profs ont la motivation de faire rentrer quelque choses dans nos crânes fermés, mais ce sont des savoirs dont je n’ai strictement rien à faire. Nous gâchons tous notre temps.
Je ne peux m’empêcher de penser à ceux qui brulent la vie par les deux bouts et je les envie de faire quelque chose de passionnant de leur journée. Moi j’ai l’impression de vieillir trop vite à force de m’habituer à ce train train quotidien.
Si, genre, j’habitais dans une cité, je réussirai peut-être à supporter l’école parce qu’avoir de bonnes notes serait le seul moyen de s’en sortir. Mais, étant le genre de personne privilégiée dont les besoins primaires et secondaires sont pleinement satisfaits, et qui estime être suffisamment intelligente, je ne vois pas l’intérêt d’aller en cours.
Le pire était que les perspectives d’avenir de mes condisciples étaient si limités, qu’ils s’engluaient dans la routine sans même s’en rendre compte, incapable d’aspirer à quelque chose de meilleur pour eux. J’étais entourée de gens préoccupés par leurs futures écoles de commerce ou leur IUT en informatique, ou leur prépas, s’ils sont assez brillants pour intégrer une grande école, poussés par les parents ne souhaitant pas que leur enfants soit heureux dans la vie, mais qu’ils réussissent, soient cadres ou commerciaux pour aller fanfaronner devant les voisins. Et le bahut reproduisait exactement le même schéma, nous incitant à, soi disant, donner le meilleur de nous même, tout ça pour maintenir leur taux de réussite au bac à 100% pour donner l’illusion d’être un excellent lycée.
On m’avait poussée sur une voie que je n’avais pas choisie. Et enfin, j’en avais assez de me faire chier à faire semblant. J’avais choisis la solution la plus raisonnable: le divorce à l’amiable. Je n’y pouvais rien si je n’étais pas faite pour l’école ! Après tout, nous les élèves ne sommes que des lignes classées alphabétiquement sur un tableau Excel, une série de notes et il était temps pour moi de reprendre ma liberté…
Aller à l’école nous volait notre jeunesse. On reste la, 20 ans de notre vie perdus, assis devant une table alors qu’on pourrait sortir, s’éclater au lieu d’être stresser par les échéances qui approches, bac et autres examens.
Plus tard, je sais ce que je veux être : spationaute à crête, et je n’ai besoin de l’aide de personne pour réussir.
Pourtant, je dois reconnaitre qu’une personne s’est proposé de m’aider. C’est ma prof d’anglais, qui m’a coincée à la fin des cours hier. Elle avait le visage grave de ceux qui doivent annoncer des mauvaises nouvelles.
-Tu es une bonne élève mais tu pourrais mieux faire, m’a-t-elle dit. Les autres professeurs pensent, et moi aussi, que tu manques de motivation et de motivation. On m’a dit que tu voulais devenir Spationaute, mais tu sais que c’est un métier difficile et tu es dans la mauvaise filière. Et puis, c’est un métier vraiment aléatoire, si peu vont dans l’espace…
-C’est ce que je veux faire, j’ai répondu, me l’aliénant plus encore.
-Écoute, vous les adolescents, vous êtes à un âge ou on a envie de dépasser les limites. Mais ce n’est pas une raison pour faire n’importe quoi. Je pense que tu es assez mature pour comprendre qu’il faut faire des sacrifices et que l’on ne parvient pas toujours à réaliser ses rêves. Il faut être réaliste. Trouve toi un autre métier à ta portée…
-C’est à dire? j’ai demandé avec une pointe de menace dans la voix qu’elle n’a pas entendu.
-Tu n’es pas un très bonne élève mais tu es intelligente…
-Si je l’étais, je n’aurais pas 8,9 de moyenne.
-Ne gâches pas ton avenir maintenant, tu es dans la dernière ligne droite. Tes études sont le plus importants. Il faut que tu t’accroches.
-Désolée Madame, mais il faut que je parte.
J’ai pris mes affaires et j’ai rejoint les autres. Le lendemain, ses yeux n’arrêtaient pas de se poser sur moi, d’un air presque suppliant.
Au fond, cette conversation m’avait vraiment rendu triste, un peu comme si j’avais coupé les ponts avec la seule personne qui croyait vraiment en moi.
Qu’est-ce qu’elle penserait si elle me voyait la, sur le pont, à balancer mes livres de cours dans la Seine, à balancer la chance que j’avais de réussir?
Mais moi, je me sentais légère, j’aurais pu m’envoler . Il n’y avait pas de conséquences, pas d’avenir, seulement moi et mes pas joyeux. J’avais le monde entier à portée de main. Je décidais de garder des stylos, mon porte feuille, des livres de Clowes et Salinger, et d’autres trucs dont j’avais besoin.
Et, prenant mon courage à deux mains, j’ai envoyé un SMS à ma mère : « J’arrèt l’école. Dsl é joyeu Noel » et, pour être encore plus poseuse, j’ai mis à jour mon profil Facebook. Mon statut était « J’arrète les cours ».
Tout en me réjouissant d’avoir enfin quelque chose de grand dans ma vie, je traversais le hall de la gare pour rentrer chez moi comme d’hab lorsque je tournais la tête pour observer mes semblables. Je m’arrêtais et vis cette masse grouillante de gens tout pressés de faire des achats pour Noel et de rentrer chez eux avec leur famille. Avec horreur, je m’aperçus que je m’apprêtais à suivre le même chemin qu’eux.
Une petite voix me chuchota que, puisque j’avais abandonné l’école, je pouvais tout aussi bien abandonner ma famille qui s’amuserait bien mieux sans moi.
La seconde d’après, l’air frais et coupant me frappait de nouveau en plein visage. Étrangement, ça faisait quand même du bien d’être dehors, la tête vide, l’occasion de regarder tous ces stressés traverser la rue, le regard vissé sur leurs montres, leur yeux regardant la ville sans la voir.
Je ne savais pas ou j’allais, mais je marchais, c’était déjà ça. Mon mp3 aux oreilles, la musique me donnait des ailes et du courage.
“If i could do it again, i’ll climb more trees…”
Les paroles s’échappaient toutes seules de mes lèvres – j’avais l’impression d’être l’héroïne d’un film indé, seule et perdue dans la ville. C’était comme ci ce qui m’entourait n’était qu’un mauvais rêve, une erreur à gommer.
Je suis passée devant un lycée ou des gamins fringués comme s’ils allaient au théâtre discutaient de leur programme du week-end. A côté il y avait une vieille clocharde qui faisait la manche et tout le monde l’évitait.
Voir cette vieille dame souffrir dans l’indifférence générale de ceux qui auraient pu l’aider m’a profondément énervée. J’ai fouillé dans mon sac et ai versé dans son chapeau des pièces qui trainaient. Elle m’a regardée avec reconnaissance. Je lui ai demandé si je pouvais la prendre en photo. Elle a dit oui. Après, j’ai essayé de faire un peu la causette avec elle, mais elle ne captait pas un mot de français.
Je l’ai quitté avec un grand sourire et après quelques pas, me suis longuement demandé si je continuai à gauche, à droite, ou tout droit. Finalement, j’ai continué tout droit.
Une pancarte m’a interpellée. Il y avait écrit: « Oui, je pourrai être votre grand-mère ».
Elle était déposée sur des sachets Tati sales et bourrés à craquer, à côté d’une autre vieille clocharde qui était assise. Quand je lui ai donné de l’argent, comme à l’autre, elle s’est confondue en remerciements. J’ai essayé de parler avec elle aussi, mais la encore, elle ne savait rien dire en français.
Ça m’a paru bizarre…Qui avait donc rédigé sa pancarte? Je l’ai prise ne photo et me suis dirigée vers une rue parallèle.
A force de cogiter, j’en ai déduis qu’il y avait une Mafia des clochards qui agit en sous main. Ce serait trop beau qu’il y ait, comme par hasard, deux vieilles clochardes à une rue d’intervalle ne comprenant pas le français et ayant à peu près la même apparence. Dire que je croyais enfin avoir fait quelque chose de positif…
Tout ça, s’était juste une belle arnaque pour les cons aussi crédules que moi. Déçue que bonnes actions ne servent à rien, j’ai préféré me terrer dans les souterrains de Paris, pour ne plus me demander ou je devais aller.
Dans le métro, ma seule occupation était d’écouter mon mp3- ce qui m’a rapidement soulé. Dès que je l’ai allumé, je suis tombé sur une chanson que j’écoutais après avoir rompu avec Kelan. Impossible de passer celle-là. Les 7 suivantes étaient carrément trop tristes et déprimantes, et la 8e trop joyeuse, ça me déprimait. La 9e parlait d’une histoire d’amour entre deux êtres faits pour s’aimer: ça me rappelait encore plus Kelan, et à quel point il me manquait .La 10e m’évoquait toutes les choses géniales que j’aurais pu faire ces dernières années et que je n’avais pas fait, allez savoir pourquoi.
Finalement, j’ai éteint le baladeur: au moins, je n’avais plus de choix cornéliens à faire. A ce moment la, j’ai reçu, chose vraiment surprenante, un SMS de Kelan qui disait: « Tu dev1 koi ? ».
C’était vraiment la journée : je recevais des signes de vie de gens à qui je n’avais pas adressé la parole depuis des lustres. Un signe du destin, qui sait. Il était temps de revoir les miens.
Je suis descendue à une station, au hasard et me suis posée dans le premier parc que j’ai trouvé, qui avait l’air, de prime abord, tranquille et calme. Erreur: au lieu de rester chez eux, bambins et nounous y gambadaient joyeusement. C’était fâcheux, mais j’étais motivée.
Ça me donnait envie de me tordre de rire. La petite, en me faisant un grand sourire, s’est hissée sur la pointe des pieds et a commencé à caresser ce qui me servait de cheveux autrefois, émerveillée.
Une petite fille me regardait avec attention. Elle est, prudemment, partie chercher ce qui restait de fleurs ayant survecu au froid et a réussi à arracher une marguerite et ai venue me l’offrir. Je l’ai remerciée de sa gentillesse avec un gros bisou.
Peu importe qu’il y ait des fous intégristes et des mafieux, du moment qu’on peut toujours tomber sur une jolie fille qui offre des fleurs…
Son copain nous lançait des regards en coin, l’air boudeur et maussade. Sans même s’en préoccuper, la gamine s’est glissée dans mon dos et a tenté de pousser la balançoire. Elle n’avait vraiment aucune force, alors j’ai joué le jeu en m’aidant de mes pieds pour prendre plus d’élan. Plus je montais haut vers le ciel, le vent fouettant mon visage, plus je me sentais redevenir comme eux. Ma seule pensée était que je devais aller plus haut, juste plus haut, pour toucher le ciel et les nuages du bout des doigts. Cela me rapprochait des étoiles qui se cachaient…
L’atterrissage a été rapide. La petite voulait à présent participer, suivie de quelques bambins. Je leur ai gentiment laissé la place, en les enviant d’avoir d’aussi bons passe-temps après l’école.