Le titre avait retenu toute mon attention m'évoquant vaguement quelqu'un de ma connaissance et les quelques critiques lues encouragé à me plonger dans ce roman de Serge Joncour. Il s'agit du septième livre de l'auteur qui par ailleurs collabore aussi à une émission sur France Culture.
Beaujour est un employé modèle qui travaille dans un institut de sondages. Célibataire il mène une vie plutôt falote ; parenthèse, à lire tous ces romans dont le héros est un célibataire ça fiche un peu la trouille à la longue, car lorsque on fait la liste de toutes les tares ou défauts qu'ils se trimballent on n'est pas loin d'associer le célibat à une pathologie lourde, fin de la parenthèse. Dans ce bouquin, la tare de notre esseulé c'est d'être incapable de prononcer le mot « non ». Dans aucune circonstance, même la plus anodine il ne sait répondre « non ». Au bureau dès qu'un collègue lui propose un petit café, il ne peut qu'accepter au risque d'en boire beaucoup plus qu'il ne peut le supporter à la fin de la journée. Il en est ainsi pour tout.
Conscient de son handicap il va tenter par le biais d'un atelier d'écriture - qui lui servira de psychanalyse - de se sortir de ce symptôme paralysant. En parallèle, l'auteur plonge son héros dans deux situations terribles, d'une part il tombe amoureux et réciproquement d'une secrétaire de direction qui semble elle aussi frappée du même mal et d'autre part son patron le félicite chaudement des résultats de ses enquêtes d'opinion. Effectivement, rongé par son handicap il a développé un nouveau système d'enquête d'opinion qui oblige l'interviewé à répondre par « oui » ou « oui » ! Pour les sondages politiques on voit les conséquences qui peuvent en découler et à juste titre il en est félicité, une promotion en découlant.
Le propos peut sembler léger mais quand on y réfléchit il n'est pas aussi anodin, car s'il doit être effectivement pénible de ne pas oser dire « non » quand on ne veut pas accepter quelque chose, il n'est pas non plus agréable de côtoyer en permanence quelqu'un qui ne sait pas refuser. Ce qui ressemble au début à de la gentillesse peut vite devenir un manque de personnalité.
Le roman de Serge Joncour m'a séduit car il est très agréable à lire, l'humour qui affleure et le style n'étant pas étranger à ce plaisir. Par ailleurs, des inter-chapitres évoquent la vie dans les années soixante dix et je me suis directement senti visé par ces passages. Au final je dirai qu'on peut très bien vivre sans avoir lu ce roman, mais que j'ai passé un très bon moment à le lire.
« En même temps une forme de mauvaise conscience le taraudait, car après tout, à bien y regarder, pourquoi contrer l'humeur d'un patron, par nature fondé à savoir ce qu'est le bien de son entreprise et de ses employés, autant prétendre en remontrer à Dieu. L'ordre des choses voudrait, quoi que le président décide, qu'il ait raison. Il n'y a rien d'autre à faire qu'à consentir, à obéir, c'est la règle même du respect. Il n'avait pas l'âme d'un révolté, même si dans le fond la rébellion ça n'est jamais que souscrire à l'idée de tout remettre en cause, se révolter c'est dire oui à tout un tas de prétentions parfaitement contrariantes, se révolter c'est accepter bien plus de choses encore que simplement dire oui à tout ... »
Serge Joncour L'homme qui ne savait pas dire non chez Flammarion