Jour 1
Il est difficile, pendant une semaine de vacances arrachée aux mains de votre sadique patron, de se lever sourire aux lèvres à 6h30 du matin pour rallier Paris 13eme depuis la banlieue est. La perspective d’une propagande étatique sur la conduite prudente n’aide en rien. Mais une semaine de plus et le comble du journaliste automobile sans permis se réalisait au travers de ma personne.
Je me lève donc vers 7h30 et saute dans mon jean pour courir jusqu’à la voiture. L’envie de ne pas rater (encore une fois) le cours me pousse à atteindre des vitesse nocives pour le papier rose. La pédagogie agit déjà…
J’attrape le Paris Est de 7h45 (oui, j’allais vraiment très vite) et pointe à gare de l’est 15 minutes plus tard. Un prodige !
Je signe pour la présence, présente ma déclaration de perte du permis et vais m’assoir dans la salle de code. Deux personnes d’age avancé trônent fièrement sur deux chaises en plastiques, frimant un peu avec leur matos supertechnologique à capacité de persuasion routière. Deux portables, un projecteur et un tableau de papier.
Présentations :
« Bonjouuuur (petite femme de 50 ans à la poitrine vraiment abusive. Elle s’est sentie obligeée de mettre un haut échancré), moi c’est Valérie Kreel Mieeeeg, mon collègue s’appelle Robert Thibaud (petit homme de 60 ans aux culs de bouteilles) et on va essayer enseeeemble, de pas trop s’ennuyer ». Optimiste.
Les deux sont diplômés du Chépatrokoi Français des Trucs de Sécurité Routière. Un truc de bourrin parait-il.
Robert, les mains jointes : « Bon on va faire un tour de table et comprendre un peu pourquoi vous êtes là ».
Chacun se présente. Il y a des Ludo, des Karim et quelques José. Il y en a tantôt pour la suppression pure et simple de la ceinture de sécurité, d’autres adeptes du tour du periph’ en 10 minutes. C’est une déferlante d’amendes et de suspensions de permis. On est obligé de noter qu’il n’y a aucune femme dans la salle. Leur talent de corruptrice y est évidement pour beaucoup.
C’est mon tour : « Bon je suis un conducteur plutôt prudent mais je roule très vite, et je vois jamais les radars ». Scepticisme en face. On tente de me raisonner :
« Axel, sais-tu qu’a 50km/h, un choc contre un mur équivaut à une chute de trois étages ? Et à 90 km/h t’es sûr de mourir (photo à l’appui d’une Audi A3 carrément enroulée autour d’un arbre) Pas de survivants !». Son regard est presque aussi indisposant que son haleine. Je veux le provoquer : « ben on peut conduire vite et bien, et les gens lents sont dangereux, et je peux conduire bourré aussi ! ».
Mon cas semble être désespéré, si bien que je ne serai plus abordé de la journée. Je divague intérieurement. C’est mieux de chuter de trois étages ou de se prendre un mur plein face à 50km/h ? Je rit en pensant à chuter de trois étages avec ma voiture lancée à 50km/h. Les risques sont-ils plus grands ? Je m’abstiens de poser la question.
Le tour se termine sur le ronflement de Mamadou, illustrant sans doute le phénomène des micro-sommeils.
S’en suit un série de chiffres et statistiques en tous genres. Nous apprenons le pourcentage de mort pour 100 accidents en 1972 à travers des quizz exaltants.
Tiens : Saviez-vous que de 1968 à 1972, le nombre de morts sur les routes ne passait jamais sous les 15 000 ? Il y eu 16 654 tués sur les routes en 1972. Pendant cette période, le gouvernement ne pris aucune mesure pour lutter contre la mortalité. La vitesse était alors illimitée (sainte époque). La raison ? L’argent évidement. Le secteur automobile français devait s’imposer, pour le bien du pays… Des limitations auraient à coup sûr enrayé le développement économique automobile.
En 1973, un texte de loi vient limiter la vitesse à 130km/h sur autoroute, 90km/h sur nationale et 50km/h en ville. Et la principale raison, c’est que le préposé à la sécurité routière de l’époque (son nom m’échappe) perd sa femme cette année là dans un terrible accident. Ravissante histoire. Les 16 654 mort l’auraient à coup sûr appréciée.
Le reste de la journée n’est que décortication de chiffres et sermons à peine voilés. On nous fait même des schémas d’accident réellement vécus. Apparemment, un jour, un chef d’entreprise a emplafonné sa façade parce que les arbres du carrefour avaient été coupés. Il n’aurait alors pas reconnu le virage et foncé tout droit en attendant son repère (les arbres). Mort sur le coup. Le con quand même, il devait être sacrément distrait. Le décolleté à la Valérie sans doute.
Et se succèdent les schémas et débats les plus morbides. A chaque exemple, Yves, 50 ans, y va de son anecdote abracadabrante.
« Ba oui, c’est comme moi un jour, quand j’étais Taxi, j’ai chuté du boulevard circulaire à la Défense. Dix mètres de chute et j’suis tombé sur le toit ». La salle est interloquée. « Oui nan mais c’était une Mercedes c’est solide… J’ai rien eu ! ». Valérie est navrée de cet exemple, et va devoir supporter une bonne cinquantaine d’histoires similaires (et se faire reluquer la poitrine par le libidineux bougre).
Fin de la première journée, instructive à souhait. Je manque de m’empaler sur un bus en reprenant ma voiture à la gare.
Jour 2
7h30, jean, voiture, gare de l’est. Je suis à la limite d’être de bonne humeur. Il fait beau et c’est le dernier jour.
Je cavale dans les sous terrains et chope un métro. À deux stations de place d’Italie, je regarde l’heure et constate que j’aurai même de l’avance. Mais le dieu des transports ne l’a pas vu ainsi (m’aime pas trop celui-la…). Une bande de contrôleurs vient de sauter dans le wagon.
« Bonjour Monsieur, titre de transport svp »
Je tente la technique du « pas de ticket, pas d’argent, pas de papiers »
Cela marche généralement vu que les contrôleurs ne peuvent pas perdre de temps à nous emmener au poste. Le quota le quota le quota !
Il me tend une fiche de renseignements : « Nom : Duclos ; Prenom : Sebastien ; 88 rue des bobards, 93500 Fluteville. »
Plutôt hésitant, il me dresse tout de même l’amende sous ce nom. Au moment de la glisser dans ma poche, je m’aperçois que mon passeport dépasse. Lui aussi…
La suite est une longue et drôle histoire mais qui me semble hors-sujet ici. C’est pourquoi je vous propose un résumé très succin : Refus, insulte, flics, accusation de fausse identité, insultes, amende de 64 euros, 1 heure de retard.
J’arrive en fanfare dans la salle, la goutte au front. « Pardon, une mésaventure… ». Outrés de mon retard, Tic et Tac de la route me sollicitent avant même que je m’asseye. Je doit traverser la salle avec des lunettes spéciales. Elles reproduisent la vue d’un homme en état d’ébriété.
L’air un peu con, je zigzag devant l’audience.
Valérie : « voilà donc Axel est complètement torché, il va essayer de ramasser le stylo qui est ici »
Elle pose vraisemblablement le stylo à ma droite, par terre. Je pivote et me penche pour le choper mais n’y parviens pas. Rires et satisfaction des deux compères, fiers d’avoir démontré que je suis une future victime de la route.
Yves : « Et bah moi, un jour, j’étais à deux grammes cinq, et j’ai fait Grenoble-Lyon en 17 minutes. Pas un pet ! Comme quoi hein…
Valérie riposte : Pourquoi devez vous récupérer des points Yves ? »
La pauvre n’a pas eu conscience qu’elle réveillait la bête. Nous avons tous avalé de force la vie de Yves pendant 3 quarts d’heure. On nous a même accordé un pause exceptionnelle. Robert, visiblement en sevrage lui aussi, tremblotait sur sa chaise. Il n’avait pas supporté le flot d’ignominies routières.
La deuxième partie de la matinée est axée sur les failles du système de retrait de points. Comment retarder un retrait de point ? Comment récupérer son permis plus facilement après un retrait ? Comment même contester une amende et être crédible face au médiateur de justice ?
Il n’y a aucun bruit dans la salle. Tout le monde note scrupuleusement les méthodes de couille. Ne jamais signer une amende, toujours retarder au maximum le temps de paiement pour pouvoir rattraper des points entre temps, donner le numéro d’un autre permis pour le retrait. Les deux prêcheurs de sécurité poussiéreux deviennent soudain forts intéressants. Ça ne dure pas.
L’après midi est éprouvant : Crash tests, accidents et pubs gores en vidéo.
La première est un crash test de Ford Sierra contre un poteau en béton. On y a droit à 50 km/h 60km/h et 90km/h. La dernière collision est commentée par Robert : « Remarquez la tête sectionnée par le tableau de bord… ». La tête est effectivement en train de voler à droite du poteau. Merci Robert.
Yves : « C’est comme moi un jour, j’ai vu un bus éclater la tète d’une jeun…blablablabla…»
Un concours d’histoires gores est lancé. Ça parle glissière de sécurité et membre sectionnés.
La vidéo suivante fait l’objet d’une question préalable : « Préférez-vous percuter un mur en Renault 5 ou en camion citerne ? ». La première séquence montre une Renault 5 heurtant un mur de face. Tôle froissée, mannequin secoué. Dans la seconde, le camion citerne est projeté de la même façon. La citerne vient alors écraser la cabine au moment du choc. Le mannequin en état de post-collision est exposé à la camera. J’y penserai la prochaine fois, quand je voudrais m’acheter un camion citerne.
Robert, captivé, repasse la scène au ralentit.
Plusieurs pubs nous sont montrées. Il s’agit de la célèbre campagne de prévention montrant des véhicules déchiquetés sur une musique guillerette. Ils achèvent le travail.
Cette dernière vidéo est le point d’orgue du cours. Elle met en scène un Combi Volkswagen (hippie de merde !) dont le conducteur semble être atteint de fatigue cannabique. En face arrive un 36 tonnes. Le hippie somnole et zigzag, mais semble passer à coté du semi-remorque. Arrivé à hauteur du camion, le Combi fait une soudaine embardée et passe sous le double essieu du 36 tonnes. Le Combi est désormais une crêpe au chanvre.
17h30 sonnent et nos tortionnaires acceptent enfin de nous libérer.
Je sors de l’auto école un peu pensif. Et si c’était moi le connard dans une de ces bagnoles…
En rentrant, je me suis même surpris à passer un rond point à moins de 70 km/h.
Nan j’déconne !