Que fait un jeune homme le vendredi soir dans la ville du Pastis et de la Bouillabaisse lorsqu’il ne va pas voir jouer l’OM ou bouger son boule dans les night clubs glauques du cru? Il reste chez lui, ou il cherche à s’amuser avec ses potes en sortant ici ou là… pour n’y trouver que des noises. Récit même pas éthylique par Nicolas Georges.
C’est à 22 heures ce vendredi que commence ma soirée. Confortablement échoué tel une baleine bienheureuse devant Koh Lanta (heureusement qu’ils ont virés l’abruti de marseillais, ce mec faisait honte à toute une ville), la sonnerie « ABC » (des Jackson 5, RIP MJ) de mon Samsung old gen retentit (note pour plus tard, baisser le son de ce truc qui fait sursauter à chaque fois), c’est mon pote Fabrice. Depuis deux jours que je le tanne pour sortir boire un canon, il réagit enfin. Son discours évoquant « un bar sympa, il parait, sur le Vieux Port » me séduit assez. C’est vendredi soir après tout, bordel, ils passeront la redif de Koh Lanta sur internet en plus.
J’enfile un jean (comme tout mec intègre, je me promène chez moi en caleçon, ça va de soi), une chemise violette à carreaux, ma précieuse paire de Stan Smith (soigneusement blanchies depuis mon rendez-vous galant de la semaine précédente), beau gosse. C’est ainsi que je passe chercher mon ami Fabrice puis on retrouve peu après nos deux compères Maxime et Nicolas (d’où la vanne inusable « je suis avec Nico et Nico hein ahahaha »).
On descend tranquillement vers le Vieux Port, centre névralgique du village marseillais et accessoirement seul spot ou presque pour sortir le soir autre part que dans des boites sinistres entouré de cagoles infâmes. Notre bar (un endroit « qui tue » selon Maxime, totalement emballé par une soirée là bas quelques jours avant) se trouve près de l’Opéra, une zone que l’on pourrait aussi surnommer « la petite Rue St Denis » tant elle pullule de bars à hôtesses glauques.
A peine le temps d’observer les quelques Ginettes abimant leurs talons trop hauts sur le béton qu’on arrive à ce fameux bar et, autant le dire, je suis un peu choqué. C’est vrai quoi, ce machin tout boisé porte une pancarte (comme une taverne, un peu): BARBEROUSSE: L’escale des Pirates. Je me dis que j’aurais du apporter un crochet et une jambe de bois.
« Vous voyez, ça tue, non?
- Euh… Ouais, ouais, carrément, c’est original. Ils sont violents leurs shooters alors, tu m’as dit?
- Putain mais trop! Il y a vraiment moyen de s’enquiller. »
Rasséréné par la perspective toujours réjouissante de me péter la gueule avec mes compères, je les suis d’un pas assuré vers l’intérieur, après tout « qu’importe le vin pourvu qu’on ait l’ivresse ». Juste le temps de passer entre deux videurs reluquant agressivement mes précieuses baskets (eh oui mes gros, les Stan, c’est les plus belles du marché, je sais) et me voici dans un endroit beaucoup trop chauffé, bas de plafond et blindé de monde.
La population est jeune, 17/23 ans maxi, assez « clean » si on veut. Beaucoup de mèches, des shorts en toile au dessus du genou, un sacré paquet de casques de scooters mais aussi et surtout, une avalanche de polos. Je me suis vite senti comme un intrus avec mon cheveux hirsute, ma barbe de deux semaines et ma chemise digne d’un gang latino californien. On se cale à ce qu’on peut considérer comme une table (un tonneau sans chaises autour) et on décide de s’offrir une première bouteille: un machin aux fruits. Je n’y comprends rien à toutes ces mixtures alors j’acquiesce.
Le temps de commander, on écoute la musique et je suis un peu consterné. Depuis notre entrée, il est passé dans les enceintes: Téléphone, Michel Delpech, Patrick Bruel, Michel Sardou (deux fois, franc succès des « Lacs du Connemara »). Je promène mon regard vers le comptoir et, non, vraiment personne n’a plus de 22 ans. Pourquoi ces gamins se régalent à écouter la musique de leurs darrons? Ca vous viendrait à l’idée, vous, d’écouter les disques de vos mamans?
C’est dans cette ambiance un peu crispante et assez surchauffée (tout le monde a levé les bras pendant « Pour un Flirt avec Toi », je crois même que certains mecs en on profité pour emballer leurs nanas, ça en fera un beau souvenir à raconter à leurs petits-enfants) qu’on lève le coude pour la première fois en ingurgitant 3 shooters chacun d’une « liqueur au litchi » en tentant d’échanger quelques mots malgré cette musique beaucoup trop forte. Le breuvage n’est qu’un jus de fruit, on doute de la présence d’alcool là dedans, il en sera de même pour les deux autres bouteilles commandées.
On sera resté une longue heure dans cet endroit hors du temps, assez pour prendre une violente bouffée de Variété Française des années 80 en pleine gueule. Assez aussi pour décider de remonter vers le Red Lion, pub habituel de la bande. Fait inhabituel, on a tout de même failli se faire accoster par une fille là dedans: du coin de l’œil, j’ai vu une petite blonde s’approcher de notre tonneau, tenter d’ouvrir la bouche mais coupée dans son élan (et donc découragée) par un rire gras de notre compère Nico. Ce n’est peut être pas plus mal, je crois pas que j’aurais eu la force mentale de me taper encore une heure de Sardou sans partir en sanglots.
Avant de s’en aller, mes amis clopent devant l’entrée et moi je savoure le silence relatif du dehors. Durant l’intervalle, une petite bande de gamins peroxydés et en survêt de foot passent près du bar. Echange de regards hostiles entre deux tribus qui ne se comprennent pas et se craignent mutuellement à leurs façons. La fameuse barrière sociale est ici démontrée de façon assez impressionnante, me dis-je en observant Fabrice se faire alpaguer par une fille avec qui il a vaguement été pote à la Fac. Marseille est un village, tout le monde connait tout le monde.
Bref, on taille la route et on repasse par la rue des mini-lupanars où l’on se fait accoster par deux gagneuses:
« Alors les ptis chéris, ça vous dirait de faire un peu la fête?
- Ah…Vous savez, on est des garçons sages mais c’est pas l’envie qui manque.
- Oh… Dommage »
On se demande pourquoi j’ai dit ça, moi le premier. Il y avait finalement peut être un peu d’alcool dans ces shooters pour bébés. Mon copain Max est un peu charmé par une des deux femmes de peu. Il affirme que « dans un autre contexte [il] l’aurait dégommée ». On lui dit qu’il aurait aussi probablement chopé le tétanos.
Finalement, on arrive au pub, il est 23h30 et c’est forcement blindé de monde. La terrasse est pleine, on se calera sur les marches de la porte d’à coté, comme d’habitude. Le temps de serrer 2 ou 3 mains (on est des habitués, mine de rien), je commande une Kriek, la bière de ceux qui n’aiment pas la bière, celle à la cerise. Là encore, l’ambiance est moyenne, le patron surfe sur Deezer pour passer du mauvais twist à une bande de brutes avinées qui se secouent hors rythme et beuglent des trucs incompréhensibles. Ca schlingue la transpiration et la bière défraichie là dedans.
Tout ça est assez moyennement supportable alors on se met dehors et, autant le dire, on a pas grand chose à se dire. On est pas bourrés, on ne s’amuse pas, dur de communiquer dans ces conditions : qui a des conversations sobres et intelligibles le vendredi soir? Plus tard, un SDF très barbu tente de nous parler, on devine deux bouteilles de Villageoise entamées dans son sac plastique. Il marmonne un truc, bloque 5 minutes sur les (vaguement jolies) filles d’une table au loin et reprend sa lente marche vers on ne sait où.
Après un énième blanc interminable, c’est cette fois-ci un muet qui vient nous brancher. Au moins, c’est calme, mais il gesticule beaucoup. On mettra cinq minutes pour arriver à lui dire que mes potes et moi on se connait depuis le collège et que la cigarette de Maxime n’est remplie que de tabac.
Un peu fatigué mais surtout très las, je me casse de là, sans même avoir fini ma pinte (de toute façon, elle était déjà un peu tiède). C’est sur le chemin du retour vers la maison (une demi-heure de marche à slalomer entre les poubelles pleines, les rats grouillants et les ados racailles en jogging de Chelsea) que je me dis que la nuit marseillaise, c’est tout de même assez sinistre. C’est vrai quoi, en un soir, je suis allé dans une taverne pour néo-réacs et dans un pub puant, en passant devant une sacrée brochette de bars à putes. J’ai croisé des jeunes vieux, des alcolos relous, des filles de joie en fin de carrière, un SDF mateur, un muet trop sociable…
Bref, la prochaine fois, quand Fabrice m’appellera, je resterais devant Koh Lanta, c’est bientôt la réunification en plus, avec les stratégies et tout.