Et nous voici au soir fatidique du réveillon de Noël.
Après le film de ce soir, plus aucune obligation de poursuivre cette thématique des Noëls irrévérencieux ne me sera faite, puisque la date du prétendu
passage du Père Noël ou du moins de semblant de Père Noël – au-delà de la naissance du Christ, depuis l’établissement de cette nouvelle religion commerciale – sera, elle aussi, passée.
Le film de ce soir restant parmi toutes ces interprétations et détournements trash surement le plus « affreux » de tous. Et ô combien nous
sommes gâtés, cocorico, il est français !!
« LE PERE NOEL EST UNE ORDURE » ( 1982 ) de Jean-Marie Poiré
Fort du succès critique et d’estime de leur détonante pièce de théâtre de
1979 ( qui devait s’appeler à l’origine « Le Père Noël s’est tiré une balle dans le cul » et que vous avez peut-être découverte ou redécouverte hier soir en seconde partie de
programme sur France 2 ), qui ceci dit est bien plus horrible que son adaptation cinématographique, la bande d’affreux mais joyeux drilles du Café-Théâtre du
Splendid se voient donc proposer de transposer sur grand écran cette pièce en question. Et ce malgré un titre irrévérencieux et provocateur osant insulter celui qui dans ces années
soixante-dix giscardiennes est encore une icône rouge et blanche familial ( bien que son image soit celle depuis plusieurs décennies d’une marque de soda américain chère aux dirigeants à venir de
la première chaine : aaah, comme j’ai aimé cette remarque de temps de cerveaux disponibles d’Etienne Mougeotte ), sens dans lequel poursuit et confirme l’une des affiches de l’exploitation
vidéo signée Reiser ( les bandes dessinées de « Gros Dégueulasse » à la même époque ) avec son dessin « crade » d’un Père Noël semblant insulter quelqu’un au téléphone, une
blonde à couettes à poil dans sa hotte répondant ou l’écoutant.
Un Père Noël dessiné qui n’est que l’écho graphique de celui que nous offre dès la scène d’ouverture Jean-Marie Poiré, dont c’est là le quatrième film
après un « HOMMES PREFERENT LES GROSSES » l’année précédente mais le premier avec l’équipe du Splendid :
Devant les vitrines illuminées et décorées de circonstances, un Pères Noël n’hésite pas à envoyer chier un
môme qui aimerait bien qu’il lui donne à lui aussi l’un de ses cadeaux qu’il distribue. Le bonhomme rouge à la fausse barbe travaillant en fait pour une boite de strip-tease !!
Et déjà le ton nous est balancé en pleine figure, si le spectateur s’attarde attentivement sur une future palanquée de détails à ne pas louper. Quand la suite des hostilités est ouverte avec la
course-poursuite qui s’enchaine : le patron de ce grand magasin parisien ( que je ne citerai pas mais existe toujours et que vous aurez peut-être reconnu ) lance après cette
ordure de Père Noël l’un de ses employés déguisé aussi en distributeurs de cadeaux et de marrons à venir surtout. Ce gigantesque Père Noël continuant dans la provocation visuelle et
culturelle du film en étant Noir ( un choc mes aïeux à l’époque ) !!
Ainsi après cette culte ( comme tout le reste du film qui, lui, mérite son statut de culte sur lequel nous reviendrons plus loin ) scène d’ouverture qui peut déjà donner une idée de l’irrespect
auquel il faudra s’attendre de la part d’un jeune réalisateur, Jean-Marie Poiré, et de cette bande d’excités venus du café-théâtre, découvrons-nous que ce Père Noël, Félix de son prénom, est
un repris de justice qui survit dans un de ces taudis de bric et de broc composant les derniers bidonvilles qui existaient alors encore à la ceinture de Paris le long du périphérique. Un chômeur
alcoolique et violent que sa clocharde d’amie ( n’ayons pas peur du mot ), Zézette, enceinte jusqu’aux dents ( qu’un cheval aurait déjà fait redresser par son dentiste, lui ),
quitte le soir même, polichinelle dans le tiroir et caddie de supermarché pour seul moyen de locomotion !!Non sans avoir bousillé l’existence de Félix en libérant ses lapins qu’il
élève dans un but qu’on ne connaîtra jamais, provoquant de futurs accidents hors-champ qu’on ne saurait trop imaginé.
Et c’est avec la fuite de Zézette, future épouse X de "bureautier" ( celui qui travaille dans un bureau ), que va commencer véritablement l’adaptation de la pièce de théâtre.
Car si jusqu’à présent le film peut remémorer à certains et certaines le Paris de leur enfance au moment des fêtes de fin d’année avec ses scènes d’introduction extérieures, le retour en une
unité de lieu ( en plus d’unité de temps : le soir du réveillon du 24 décembre ) des plus théâtrales – puisqu’il s’agit de l’adaptation d’une pièce, si vous ne l’aviez pas encore compris –
va avoir lieu avec le débarquement bruyant et bordélique de Zézette et son caddie dans l’appartement qu’occupe la plus célèbre désormais équipe d’un non moins mythique SOS Détresse-Amitié.
Les personnages cultes ( et je crois que ce sera le dernier de mon article, car sinon on en retrouvera sans abuser à chaque phrase ) de Pierre Mortez et Thérèse, mais aussi leur supérieur M’dame
Musquin ( rajout cinématographique à un scénario qui ne développait pas de la même manière les relations entre les personnages dans sa version théâtrale ), nous apparaissant eux suite au coup de
fil de Zézette à sa tutrice, la bonne catholique et BCBG Thérèse. Un coup de fil parmi tant d’autres dans cette nuit de garde qui restera pour les personnages comme pour les spectateurs ( et plus
précisément téléspectateurs ) une nuit inoubliable si ce n’est traumatisante.
Retrouvant ainsi ses origines du grandnimportenawak de boulevard ( du coté du Faubourg St-Martin et son non moins célèbre Passage Brady à Paris ), le film va pouvoir embrayer sur les scènes et
répliques qu’ont écrit ensemble Thierry Lhermitte, Gérard Jugnot, Christian Clavier, Marie-Anne Chazel, Bruno Moynot,
Josiane Balasko et Jean-Marie Poiré pour l’adaptation. Même si comme il a été mentionné plus haut certaines nécessités de l’adaptation au format cinématographique auront modifié les
rapports entre personnages : Zézette ( toujours interprétée par Marie-Anne Chazel, sa cagoule de mongolienne - pour reprendre leur texte – dissimulant mal sa sale trogne et son caddie pour
bagage de fortune ) n’étant plus la cousine de Thérèse ( toujours interprétée par Anémone, qui pour une brouille financière ou de droits suite à ce film ne travaillera plus jamais avec le
Splendid par la suite ) et le personnage du travesti pathétique mais si drôle de Katia « Bronson » ( dont Christian Clavier, alors encore drôle dans un jeu moins sur joué et
auto-parodique, enfilait toujours les tailleurs en léopards, perruque et bottes noires du personnage ) n’y étant plus son ex-mari mais juste un paumé en cette nuit de réveillon. Entre autres.
Et c’est ainsi que vont s’enchainer pendant les 88 minutes de cette comédie hyper upper trash française les
pires et meilleurs répliques du cinéma hexagonal des eighties ( pire dans le sens où ces amis de lycée puis de débuts artistiques ont su corser leurs textes dans des situations les plus
improbables les une que les autres ) , que tout le monde imagine connaître par cœur mais en oublie parfois quelques détails et pas des moindres : votre serviteur ne regardant plus
jamais de la même manière le péage de Corbeil Sud en Essonne lorsque je passe à proximité quand des répliques restent encore plus célèbres et connues « c’est fin, ça se mange sans
fin » ou les laconiques « c’est c’la, oui, c’est c’la » pour réponses de Pierre, à qui on ne jettera pas la première pierre, non plus. Etc, etc.
Film d’une génération qui peut paraitre kitch aujourd’hui, surtout lorsque Pierre et Katia sortent le mange-disque
kaléidoscopique pour écouter qui plus est ce « Destinée » interprété par Guy Marchand, « LE PERE NOEL » est effectivement un film
générationnel, celle d’une époque révolue où les comiques se trouvaient dans les arrière-salles de cafés ou sur les estrades de petits théâtres ne payant pas de mine avant de se voir exploser en
troupe au cinéma – quand ceux qui les remplacèrent vinrent du nouveau média télévisé dans lequel ont été associé différents talents venus d’un peu partout en France ( et je pense plus à Les Nuls
que le cas à part des troupes de théâtre découvertes dans l’émission télévisée du « Petit Théâtre » de Philippe Bouvard ) avant de voir ces entités individuelles ou presque ( n’oublions
pas les binômes Eric & Ramzy ou des duos improbables comme Elie Semoun et Dieudonné M’Bala M’Bala ) se regrouper en bandes de copains ( et le casting du film d’Alain Chabat
« ASTERIX : OPERATION CLEOPATRE » en étant un flagrant exemple de l’humour entre potes de Canal ) voire développer à leur tour une troupe ( comme le cas de Jamel Debouzze
producteur ).
Ce « PERE NOEL » étant aussi le témoignage d’une époque passée où nos pauvres n’étaient pas si nombreux ni aussi exposés qu’aujourd’hui, leurs logements de fortune n’étant pas cachés
dans les Bois alentours de Paris ou leurs tentes jetées sur des quais de Seine ou sous les entrées de parkings souterrains comme aujourd’hui, la misère restant encore aux portes de Paris dans ces
derniers bidonvilles de tôles et de cartons qu’imaginent et recréent le Splendid et Jean-Marie Poiré.
Et comment se voiler la face après ce constat alarmant ou alarmiste en oubliant qu’au-delà d’une bordée d’insultes, ( les doigts ) coincés dans l’ascenseur ou au téléphone avec le désir d’enculer
Thérèse puisqu’on est son ami ( comme le répond M’dame Musquin avant d’enfin peut-être pouvoir se rendre à Créteil et arrêter ses parties de Super Simon, quel jouet kitch de cette époque aussi ),
et autres dissimulations de meurtre accidentel, le premier film de Jean-Marie Poiré en association avec les fêlés du Splendid ( le tout aussi excellent « PAPY FAIT DE LA RESISTANCE » l’année 1983 suivante marquant l’une de leur dernière collaboration groupée avant que le réalisateur se mette à tourner
avec l’un ou l’autre sur une demi-douzaine de films suivants ) est aussi un discret rappel en filigrane léger dans ce trop plein zygomatique d’humour de la misère affective et du désespoir social
de certains et certaines au soir de ce réveillon ( que vous venez de passer, le temps que je rédige et mette en ligne cet article ) : Michel Bonnet n’y est-il pas un futur suicidé au
téléphone suite à l’inattention de Thérèse ? Michel Blanc ( qui n’apparait pas dans le film contrairement à sa très courte apparition au début de la pièce dans le rôle tenu par Michel
Bonnet ) ne prétend-t-il pas être atteint d’un cancer pour amadouer Pierre et qu’il lui passe Thérèse ( avant que ça ne les intéresse pas, ça ne les intéresse plus ) ? Pierre Mortez ne
prend-t-il pas mal son combiné pour avouer accidentellement à son interlocuteur que c’est un raté en s’imaginant le dire uniquement à sa charmante collègue Thérèse – qu’il a moins bien dessiné
que le cochon finalement ? Katia ne cherche-t-il pas à fuir l’ambiance beauf d’homophobie qui règne au réveillon de sa famille prenant son pied à l’appeler Bronson pour le justicier dans la
ville qu’est Charles Bronson, icône virile et moustachu du cinéma d’action d’alors ( et dont on apercevra une affiche durant le film ) ?
Et est-ce que Monsieur Preskovic vient les déranger sans cesse en quête de chaleur humaine et d’amitié pour éviter de faire sauter tout l’immeuble au gaz comme dans la pièce ? N’y a-t-il pas une misère affective voire sexuelle pour que Pierre descende tous les soirs de réveillon se taper une petite pute comme annoncée dans le film ?
Car oui, parmi tous ces moments cultes cinématographiques ( qui donnèrent naissance en 1994 à un remake US « Mixed Nuts » avec Steve Martin, Juliette Lewis et Adam Sandler ) que le public a appris à aimer et adorer à chacune de ces diffusions télévisées annuelles ( le refus de la régie autonome des transports parisiens, RATP quoi, de l’époque de participer à la voix d’affichage promotionnelle du film, qu’elle trouvait trop choquant par son titre, ayant peut-être participé au succès mitigé de ce film sorti le 25 août 1982 en salles ) se cachent aussi des évidences qu’on aura tendance à oublier ou à chercher à oublier. Mais, il est vrai qu’il est un peu dur et délicat de ne pas être pris au piège de cette réussite cinématographique qui mérite réellement le statut de culte ( et de bien meilleures éditions DVD que celles proposées à mon goût ) quand on sait combien sont ceux en connaissant chacune réplique ou presque et qui pourtant se retrouvent encore et encore chaque année devant leur poste pour suivre la nouvelle diffusion…
Et comme l’annonçait Zézette pour accentuer leur séparation à Félix avant de lui mettre un grand coup de fer à repasser en pleine tronche : « Félix ? Joyeux Noël, Félix !!! » et joyeux noël à vous aussi.
Et je vous interdirais d’éteindre la télévision ce soir, sous peine de vous resservir du kloug aux marrons ou des doubitchous…
Fiche IMDB ( en français, oeuf corse ) du film
Avant de vous reproposer peut-être cet article bien plus détaillé si je retrouve l'excellent "Plein Feu sur... le Père Noël est une Ordure" de Pierre-Jean Lancry paru en 2004 ( que je possède en double exemplaire suite à une inattention consumériste de ma part )