On a longtemps débattu à la Renaissance de la primauté, ou non, de la peinture sur la sculpture. Elena Kovylina, elle, confronte vidéo et peinture à la galerie Analix Forever à Genève (jusqu’au 14 janvier). Formée comme peintre, mais artiste essentiellement de performance, elle avait jusqu’ici naturellement documenté ses performances avec des vidéos. En résidence dans cette galerie l’été dernier, elle a choisi de peindre des tableaux à partir de ces vidéos. Je ne sais si d’autres artistes ont eu la même démarche, mais, au-delà de la facture assez peu complexe des tableaux eux-mêmes, j’y ai trouvé matière à réflexion intéressante.
D’une part, l’artiste se réapproprie ainsi la maîtrise de l’image. Actrice de ses performances, elle devait nécessairement confier la réalisation de la vidéo à quelqu’un, qui, même dûment briefé, apportait sa propre empreinte à l’image ainsi réalisée. En prenant le pinceau, seule face à la toile, elle reprend possession de son image même. De plus, alors que tout son travail de ‘performeuse’ se fait en public, sans l’abri de la pudeur et parfois en frôlant le danger (qu’il s’agisse d’ivresse, de nudité ou d’absorption excessive de gâteau au chocolat), elle peint en privé, en secret, sans regard extérieur et selon son tempo propre.
Ensuite, le pouvoir de la peinture est de figer un instant donné, de geler le temps, d’abolir le mouvement, et de le faire en une oeuvre unique. Au lieu de la multiplicité d’images de la vidéo, images mouvantes qu’on ne peut capter une à une, sinon en faisant un arrêt sur image, geste terminal et qui empêche toute contemplation, la peinture permet de contempler sans fin une scène unique, sans avant ni après. Face à la prolifération des copies de la vidéo, la peinture regagne son aura de pièce unique.
Enfin, ce faisant, jouant ainsi avec le déroulement linéaire du temps, l’artiste réaffirme son éternelle jeunesse. Neuf ans après Waltz, Elena Kovylina n’est peut-être plus la même jeune femme séduisante, mais l’image qu’elle peint est celle d’elle-même éternellement jeune, et non son autoportrait actuel. J’ai songé à Isabelle d’Este peinte par Titien d’après un portrait de jeunesse : je ne croyais pas, dit la duchesse ”avoir été, à l’âge qu’il représente, de la beauté qui s’y contient”.
Waltz (vue à la Maison Rouge) est une performance où Kovylina, en uniforme de l’Armée Rouge, invite à danser des hommes dans l’assistance, et, après chaque valse, boit un verre de vodka et s’accroche une nouvelle médaille militaire. Peu à peu, elle sombre dans l’ivresse, titubante, dépoitraillée, soutenue à grand mal par ses danseurs, et couverte de symboles de pouvoir et d’héroïsme (la même performance aux Etats-Unis en uniforme de Marine a été un flop, le mâle américain moyen se révulsant à l’idée du simple contact avec une Russe ivre et si peu respectueuse du USMC). Live Concert (en haut) a eu lieu au centre de Salzbourg, ville de Mozart touristique au possible. La pose alanguie nue sur un piano à queue a rapidement attiré la maréchaussée. Egalité se passe désormais sur la Place Rouge, sous la neige et au son de l’Internationale. On peut aussi voir, dans l’exposition, cette charmante arabisation de notre grande islamophobe nationale.Enfin, lors de ma visite genevoise pour un ‘brunch de l’Escalade‘, l’artiste dégustait et offrait à l’assistance des gâteaux étouffe-chrétiens sur lesquels étaient reproduites des images de ses oeuvres, tout en déclamant un slogan publicitaire d’autopromotion ironique ”un désir intemporel d’art absolu, j’adore’,
en prenant une pose d’affectation hésitant entre l’extase orgasmique de Sainte Thérèse et les spasmes vibrissants du fou du chocolat Lanvin.Voyage à l’invitation de la galerie. Lisez cet entretien de Nicolas Poinsot avec l’artiste sur le blog de la galeriste, Barbara Polla. Et je me suis demandé ce que signifiait la rubrique ‘Escort’ sur le site de l’artiste.
Photos courtoisie de la galerie (excepté Bardot, par l’auteur). Photo du tableau Waltz © point-of-views.ch . Photo d’Elena Kovylina pendant sa performance © Marc Vanappelghem.