Avant de rejoindre ces collègues européens en fin de semaine, Nicolas Sarkozy a découvert qu'une super-taxation des bonus financiers était chose possible. Gordon Brown l'avait grillé sur l'idée. Le Monarque français s'est rallié à la dernière minute, pour mieux botter en touche. Voici le dernier exemple de story-telling sarkozyen.
Il y a un an déjà...
Depuis plus d'un an, Nicolas Sarkozy a faussement désigné les banquiers et les traders comme responsables de la crise qui frappe désormais l'économie mondiale. Après 15 jours d'atonie suivant la disparition en quelques heures de la banque séculaire Lehman Brothers, le président français avait tenu son discours de Toulon, fin septembre. Le propos était vindicatif contre la finance mondiale: "les responsables de ce naufrage" devaient être sanctionnés, "au moins financièrement".
Depuis, on attendait donc le début du commencement d'une mesure d'envergure. Sarkozy a tout dit, mais peu fait. La régulation prudentielle - c'est-à-dire forcer les banques à couvrir davantage les risques de placements - n'a pas été renforcée. La suppression des paradis fiscaux est un leurre. La liste des « paradis » n’était pas exhaustive ; aucune sanction sérieuse n’a été définie ni validée contre les Etats récalcitrants ; et la compétition fiscale que se livrent les Etats existent bel et bien. Pendant sa présidence de l'Union Européenne, Sarkozy n’a pas non plus convaincu l’Europe d’imposer un plafonnement des bonus bancaires, ni d'une quelconque surtaxation coordonnée des dits bonus. En juillet dernier, quand BNP-Paribas annonce avoir provisionné un milliard d'euros pour les bonus prévisionnels de ses équipes en 2009, l'opinion méditique s'enflamme, et Sarkozy est obligé de réagir... mollement. Il sermonne - médiatiquement - la banque concernée, qui renonce à la moitié des sommes initialement envisagées. Quelques jours plus tard, l'autorité de régulation britannique publie une série de recommandations en matière de régulation des attributions de bonus, comme l'étalement du versement sur 3 ans, ou leur conditionnement à l'absence de retournement boursier sur la période. 15 jours plus tard, Sarkozy s'engouffre, fait adopter les mêmes mesures, et crie partout que la France est la première en Europe sur le sujet lors du G20 qui suit en septembre. Sur le fonds, on apprend, on découvre, on s'interroge sur les relations consanguine entre Nicolas Sarkozy et la haute finance française.
Et aujourd'hui encore...
Jeudi, le président français s'est donc rallié à l'initiative britannique, une nouvelle fois. En octobre 2008, c'était déjà Gordon Brown qui avait fourni à son homologue français tétanisé la solution pour rassurer les marchés financiers et les épargnants : le premier ministre britannique avait alors convaincu ses homologues européens que la clé du problème était de débloquer le crédit interbancaire. Cette fois-ci, Gordon Brown est encore précurseur: il a annoncé mercredi la la taxation exceptionnelle de 50% des bonus versés par les banques à leurs employés, au-dessus de 25.000 livres sterling (environ 27.600 euros). Jeudi, Brown et Sarkozy publiaient un communiqué de presse commun: un inventaire de belles intentions et aucun engagement concret. les deux prônent la mise en place d'un "système plus efficace de surveillance du secteur financier en Europe pour mieux maîtriser les risques systémiques", des normes financières "mondiales", un "pacte mondial à long terme qui fasse la synthèse tant des responsabilités du système bancaire que du risque qu'il présente pour l'économie dans son ensemble", un "nouveau processus d’examen et de définition de la stratégie macro-économique, en commençant par le rapport du FMI sur les contributions globales, et en tenant un grand débat au G20, présidé l'année prochaine par la République de Corée", ou encore que "les banques doivent désormais posséder des fonds propres suffisants, assurer la liquidité, ne récompenser que la création de valeur réelle et non la prise de risque à court terme."
Parmi diverses propositions (enfin) concrètes que les deux chefs d'Etat évoquent ("les fonds de garantie, les primes d'assurance et les prélèvements sur les transactions financières"), l'une d'entre elles recueillent leur accord commun, une super-taxation : "nous pensons qu'un impôt exceptionnel assis sur les primes versées devra être envisagé en priorité parce que les bonus pour 2009 sont en partie le résultat du soutien apporté par les Etats au système bancaire." Mais les deux préviennent aussitôt : "Toutefois, il est clair que les mesures à prendre ne peuvent l’être qu’au niveau mondial. Aucun pays n’est tenu, ou en mesure, d'agir seul."
Vous avez bien lu: aucun pays, pas même la France, malgré son bruyant Monarque, n'est tenu, ou en mesure, d'agir seul.
Cette simple phrase a été durement négociée par les représentants de Sarkofrance. Il ne faudrait pas que Sarkozy soit contraint de faire peur à ses amis banquiers. Il sera toujours temps d'expliquer que 'c'est la faute aux autres qui n'ont pas suivis....'
Au Royaume Uni, Gordon Brown a annoncé qu'il agirait seul. Les élections approchent. Mais en Sarkofrance, point d'engagement similaire.
Le story-telling continue
Mercredi, Nicolas Sarkozy était dans le Bas-Rhin. Son monologue, assis, était filmé comme souvent. Il parlait du grand emprunt : "Je crois que nous avons tapé juste". Sarkozy embrouille l'assistance: On va se battre pour l'instauration en France d'un “ small business act ” qui permette, comme c'est le cas aux Etats-Unis, de réserver automatiquement une part des marchés aux petites et moyennes entreprises." Contre qui devrait-il se battre, lui qui contrôle Sénat, Assemblée Nationale, et gouvernement ? Lui-même ?
Nicolas Sarkozy devait faire oublier de bien mauvaises nouvelles : les doutes sur la "reprise" française se font jour. En octobre, les exportations ont à nouveau baissé, de 1,3%. Les instituts de prévision s'inquiètent. L'iNSEE a douché les optimistes en publiant ses derniers chiffres de destructions d'emploi: 80.700 emplois ont été détruits au 3e trimestre, tous secteurs confondus, soit quasiment le même niveau qu'au trimestre précédent (87.000). Le Figaro commente : "L'estimation provisoire livrée par l'Insee le 13 novembre était un faux espoir. "
Mercredi, une autre phrase lâchée par Nicolas Sarkozy n'a pas retenu l'attention: "je suis le chef de l'Etat français". Curieuse expression qui nous renvoie à une période sombre, celle de Vichy qui remplaça la République par "l'Etat Français".
En ces temps de débat imposé sur l'identité nationale, les références publiques ont leur importance, Monsieur le Président.
Le story-telling a ses limites.