Jusqu’à mes 19 ans, j’étais quasi hermétique à une quelconque aide que l’on voulait m’apporter par rapport à mon bégaiement. Je ne pense pas que c’était du déni, mais c’était mon affaire et il ne concernait que moi. Aussi, je ne suis pas surpris de ce témoignage de cette mère désemparée devant son fils visiblement réfractaire à l’aide thérapeutique.
“Mon fils a commencé à bégayer en classe de seconde ; avant il parlait trop vite mais ce n’était pas vraiment un bégaiement (à part un court épisode vers 7 ans). L’orthophonie n’a pas donné de résultat, bien que la personne qui l’a suivi pendant 2 ans était spécialisée dans le bégaiement. Quelqu’un m’a dit que si ce n’était pas depuis l’enfance, c’était un problème psy. Mon fils qui a maintenant 20 ans a des traits de caractères Asperger. L’orthophoniste nous a dit qu’il ne voyait pas l’intérêt de communiquer d’où la difficulté à le soigner. Lui dit ne pas être gêné (“c’est vous qui l’êtes”) mais je ne veux pas croire qu’il n’en souffre pas. Connaissez-vous des praticiens qui pourraient l’aider ? Est-ce que la sophrologie est un moyen ? Merci pour votre réponse.”
Marie-Claude Monfrais-Pfauwadel :
Madame : vous décrivez là une résurgence d’un bégaiement développemental. Un court épisode dans l’enfance, puis une période de latence – et une flambée à l’adolescence, à un âge où l’identité se constitue. J’ai déjà un peu répondu à cela – mais un problème particulier se pose ici : celui du déni par la personne qui en « souffre » de son propre problème – ce qui est un des mécanismes que le Moi utilise pour se protéger. Ceci au prix d’une limitation de l’Être, limitation que vous constatez vous même chez votre fils. Il est très probable qu’il en souffre ; il est tout aussi probable que ce déni est le moyen de ne pas savoir qu’il en souffre, puisque l’affect douloureux n’a pas d’existence. C’est comme une anésthesie intérieure. Cette démarche (totalement inconsciente - il n’y a pas de calcul dans cette histoire) a un coût : celui de la relation à autrui qui est gravement altérée, d’où le comportement perçu comme autistique.
Il est bien difficile d’intervenir quand il n’y a pas de demande. D’intervenir en tant que parent, d’intervenir en tant que thérapeute. On est là, les bras remplis, débordants de tous ces cadeaux que l’on voudrait faire à l’autre, du « bien » qu’on peut lui faire…et il n’en veut pas. C’est un vrai crève-cœur. Mais toute démarche thérapeutique nécessite l’adhésion pleine et entière du sujet. Je dis qu’on ne peut pas donner une rééducation à la petite cuillère, comme un petit pot pour bébés.
Difficile liberté que cette liberté de l’autre. Comme elle nous en coûte. C’est cela le plus dur : avoir cette vigilance patiente et aimante, lui laisser ses choix, y compris celui de ne pas en faire.
On pourrait aider votre fils, mais c’est à lui à en faire la demande. Et ce serait le premier pas de sa thérapie : accepter le problème, lui donner un nom, une forme – en faire un questionnement. Laissez-lui la place pour advenir. Il est dans son « temps » - qui n’est pas le vôtre, et il est dans ses choix, qui pour le moment sont de ne pas en faire. Le « temps » venu, il y aura ici toujours quelqu’un pour lui répondre.