"Oui, ce tableau est beau... Et il le restera éternellement, tandis que moi, je vais devenir vieux et laid... Si seulement on pouvait être le contraire... Pour cela je donnerais mon
âme !" (p. 8).
Basil Hallesarb peint un magnifique tableau de son ami Dorian Gray, inspiré par sa grande beauté. Lord Henry, son
autre ami fortuné, dont le cynisme attire ou scandalise dans les cercles mondains, lequel "ne dit jamais rien de moral et ne fait jamais rien d'immoral", va alors fortement et
durablement influencer Dorian Gray : "Pourtant, le seul moyen de se débarrasser d'une tentation, c'est d'y céder. (...)
Vivez ! Osez pleinement la vie merveilleuse qui est en vous !" (p. 7).
Porté par sa curiosité et son égoïsme, Dorian Gray va donc devenir cruel, alors que seul son portrait, soigneusement
caché aux regards, va porter le poids de tous ses péchés, la beauté et la jeunesse de son visage, elles, ne s'en trouvent pas altérées : "Vous avez excité en moi, Harry, une curiosité qui croit à mesure qu'elle trouve à se satisfaire... Plus j'en sais, plus je désire en savoir : mes appétits sont furieux, et
en s'assouvissant deviennent plus voraces encore !" (p. 32)...
Stanislas Gros, dans la préface, énumère un certain nombre de citations sur l'artiste et sur le XIXe siècle, comme
celle de ne pas confondre l'art et son sujet. Car en effet, l'auteur adapte ici librement un roman fantastique célèbre, celui d'Oscar Wilde, où le personnage principal atteint le paroxysme
de l'immoralité, sans pour autant que son auteur ait voulu en faire l'apologie, bien au contraire. En rendant l'intrigue plus concise, en offrant un raccourci saisissant du destin de
Dorian Gray, le scénariste rend plus frappante encore la déchéance morale du protagoniste. D'ailleurs, il n'y a qu'à feuilleter rapidement la bande dessinée, et l'on verra son portrait, sur la
vignette au bas de chaque planche à droite, s'enlaidir et vieillir en quelques secondes.
Enfin, à l'aide de bulles et d'illustrations assez proches de l'horizon d'attente du lecteur, Stanislas Gros insère dans le scénario, avec beaucoup de goût et d'à propos,
d'innombrables références intertextuelles : à Friedrich Nietzsche (Lord Henry), aux traits de Greta Garbo, au poème Les Bijoux de Charles
Baudelaire, aux Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos, à Huysmans (tortue
incrustée de pierres précieuses), aux préraphaélites (Ophélie), à Audrey Beardsley, et aux
photographies de Lewis Hine. Sincèrement, à lire cette bande dessinée, on en vient à prendre des distances avec les préceptes hédonistes et individualistes de Nietsche repris par Michel Onfray,
dont on perçoit ici à quelles extrémités ils peuvent aboutir.
Un vrai coup de coeur.
Une bande dessinée pour adultes et adolescents aimant la littérature ou l'époque de la fin du 19e siècle, qui constitue UNE EXCELLENTE IDEE CADEAU !
"Et puis j'aime le secret. La chose la plus banale devient délicieuse dès l'instant où on la dissimule..." (p. 4)
"Eh bien, les gens d'aujourd'hui sont charitables, ils nourrissent les affamés,
vêtent les mendiants, mais ils ont oublié le plus important des devoirs : l'épanouissement de soi. Ils ont peur d'eux-mêmes, de Dieu, de la société..." (p. 7)
"la société civilisée n'est jamais portée à rien croire de négatif sur le compte
des gens riches et séduisants. Elle sent d'instinct que les manières comptent plus que la moralité." (p. 38)
Le portrait de Dorian Gray d'Oscar Wilde / sc. et dessin de Stanislas Gros, coul. de
Laurence Lacroix. - Delcourt, 2008. - 63 p.. - (Ex Libris). - ISBN 978-2-7560-1120-2.