Mercredi de la semaine dernière j'ai passé une seconde moitié d'après-midi buissonnière. Ce n'était pas complètement prémédité. Ma vie est une joyeuse et consubstantielle
incertitude. Je n'étais pas encore sûr le matin même que je parviendrais à ouvrir cette parenthèse dans mon emploi du temps chargé.
Une semaine plus tôt j'avais reçu un courriel, bref, mais prometteur, auquel, incertain, je m'étais gardé de répondre :
"Si jamais...Sinon, bonnes fêtes! B."
suivi d'une invitation à une rencontre amicale avec des écrivains, organisée par la librairie Le Rameau d'Or et les éditions L'Age d'Homme, dès
16 heures, le 16 décembre 2009 donc, dans les locaux de ladite librairie, située boulevard Georges-Favon à Genève.
J'aime cette expression d'ici, "si jamais", non seulement en raison de sa concision - deux mots -, mais aussi parce qu'elle est inaboutie et ouvre des
perspectives...
Je n'aime pas beaucoup la ville de Genève, trop froide en hiver, trop chaude en été, une ville excessive, en même temps un pâle reflet de Paris, pour ce que cette ville lumière
peut avoir de gris et de vestiges XIXème. Mais je commence à prendre des habitudes genevoises - je me suis rendu une quinzaine de fois cette année au bout occidental du lac
-, je commence à mieux comprendre la cité de Calvin, ce qui est un début pour mieux l'apprécier, et, en somme, je commence à prendre quelque goût à son urbanité, sans doute par la
magie même des rencontres fructueuses que j'y fais.
Uli Windisch , à qui j'ai consacré deux articles sur ce blog [ici et ici] est là. Et nous faisons connaissance, après nous être écrits. Il est en grande conversation avec Raymond
Tschumi. Je ne sais comment, après mon intrusion dans la leur, la conversation s'est portée sur Philippe Barraud, qui est, aux yeux d'U.W.,
et des miens, un des rares journalistes libres [il faut absolument aller faire un tour sur son site ici et devenir accro].
Incorrigible je tiens à préciser toutefois qu'au-delà de fortes convergences avec Barraud je diverge de lui sur ... le climat et la fumée.
U.W. est d'ailleurs horrifié par les propos que je tiens sur la fumée passive - il faudra que je revienne et développe le sujet sur ce blog, pour ébranler ses certitudes. R.T. en profite
pour évoquer son passé de fumeur et expliquer comment, pour échapper à un crabe de la gorge, il s'est mis à mâcher de la sauge, ce qui a écarté définitivement la menace, à l'étonnement de son
médecin. Le même R.T. se présente comme poète et philosophe, un philosophe, qui se préoccupe d'un monde où la science domine, sans trop se soucier de l'âme. Comme je le comprends ! Et je suis
de formation scientifique...
Barbara Polla me remercie de vive voix pour mon article sur Victoire [ici], qu'elle a mis en lien sur son site [ici] et me fait la bise...à ma grande confusion. C'est sans doute le meilleur remerciement qu'un auteur
m'ait jamais fait pour avoir apprécié un de ses livres ... avec celui de Jean Raspail, qui a glissé mon poème éponyme, à lui dédié, dans son propre exemplaire
de Sire. B. me paraît encore plus charmante, et en forme, que lorsqu'elle m'a traité, il y a deux ans, de "trublion", ce que j'ai pris avec retard pour ... un compliment. Pourtant elle vient de faire à Paris l'expérience que les Français peuvent au volant se
montrer ... renversants, dans un lieu qui se veut celui de l'équilibre, la place de la Concorde.
C'est ma deuxième rencontre avec Vladimir Dimitrijevic, le patron des éditions de L'Age d'Homme [voir mon article 5 à 7 au 26ème Salon international du Livre et de la Presse de Genève ], avec lequel je partage une admiration sans faille pour
l'oeuvre de Vladimir Volkoff dont il a été le principal éditeur. Je le remercie d'avoir mis un lien sur son site vers le mien ici]. Habitant Lausanne, je lui dis regretter qu'il y ait fermé sa
librairie. Lui aussi... Il y aura d'autres rencontres, à Lausanne justement. Nous en sommes convenus et je m'en réjouis par avance.
Jean-Louis Kuffer n'est pas là. Il n'est pas descendu de sa montagne. J'aurais bien aimé lui dire de vive voix combien j'ai apprécié ses Riches heures,
parues dans la collection du Poche suisse [voir mon article ici], même s'il a lu mon article et m'en a
déjà remercié, et sait donc fort bien ce que j'en pense. Si possible, j'aime faire la connaissance des auteurs de livres que j'aime. Ce qui ne change rien, quoiqu'il advienne, à mon
opinion littéraire. Car il y a parfois des désillusions...C'est mon côté curieux et avide de connaître les autres, d'entrer en contact avec eux et parfois de me heurter à eux.
Jean-Michel Olivier, qui dirige justement le Poche suisse, collection sans pareille de L'Age d'Homme [ici], nous fait part des prochaines parutions. Je lirai le Pierre
Girard... Markus Haller, jeune éditeur, courtoisement invité, nous parle avec chaleur des cinq premiers livres qu'il vient de publier [ici]; il a fait le pari de n'éditer que des traductions de livres de réflexion, de préférence anglo-saxons. Il est réjouissant d'entendre ainsi
deux éditeurs parler avec gourmandise des livres qu'ils vont faire paraître ou qu'ils viennent de faire paraître.
Quel rapport tout cela a-t-il avec le journal de Michel Déon, publié à L'Herne [ici] ? Je l'avais tout simplement dans ma poche, pendant cette
réunion, et, de temps en temps, je passais un doigt sur sa couverture glacée, tandis que je conversais avec l'un ou avec l'autre, comme pour me rassurer qu'il était là, bien sagement
rangé, à ma portée. Ce livre est en effet de petit format. Il mérite son nom de livre de poche. C'est en quelque sorte un vademecum. Sa lecture, dans le train qui m'emportait de
Lausanne à Genève, m'avait mis d'excellente humeur avant cette après-midi de rencontres, qui ne pouvait être que faste.
Dans sa préface Michel Déon se demande pourquoi l'on tient un journal :
"On tient un journal sans savoir pourquoi. Souvent parce qu'on est en panne devant un projet ou désoeuvré après la fin d'un livre ou d'une liaison qui nous ont
beaucoup occupés. Je n'exclus pas les piqûres d'amour-propre après une rupture ou l'exaltation au premier regard. Ou encore parce que votre entourage ne vous écoute plus. Tenir un journal vous aide
peut-être à croire à notre propre existence".
Pour ma part je n'ai tenu que deux fois un journal, pour rendre compte de ce que je voyais, alors que ma vie était mise en vacance : en mai 1968 et pendant mon service militaire. Toutes mes
autres tentatives n'ont pas excédé quelques jours...
Plus loin Déon précise son intention et quelles pages il a choisies en conséquence de livrer au lecteur :
"Partageons les images, les livres, le théâtre, le cinéma et surtout les amitiés qui sont le bonheur d'une vie comme les détestations qui l'ont pimentées".
En commençant donc cet article par le partage de mes rencontres je ne pense pas trahir la disposition d'esprit dans laquelle m'a mis lemême jour la lecture du journal de Déon.
Le lecteur qui fréquente régulièrement les livres de Déon ne sera pas déçu par ce petit livre qu'il peut emporter aisément avec lui et compulser quand cela lui chante. Il y retrouvera le ton
qui est propre à Déon, ce regard porté sur les choses et les êtres qui n'appartient qu'à lui, cette désinvolture - qui confine au détachement amusé -, avec laquelle il traverse les
événements, ces rapprochements singuliers qu'il fait entre deux faits qui à d'autres paraîtraient incomparables.
Avec Michel Déon le lecteur voyage, fait des rencontres, remonte le temps et redécouvre des époques révolues que l'auteur sait, en quelques traits, restituer, en leur donnant couleurs,
ambiance et repères pour initiés. Il ne s'attarde donc pas sur les descriptions, mais elles sont suffisamment éloquentes pour parler à notre imagination, suscitant en nous
suffisamment d'impressions pour en déclencher le mécanisme créateur.
Un journal ne se raconte pas. Il faut y plonger, soi-même. A la rigueur peut-on citer quelques extraits de ces extraits, qui ne donneront a fortiori qu'une petite idée de l'ensemble. Je me
risque cependant à l'exercice, en élisant des extraits qui me parlent, personnellement.
En mai 1949, Michel Déon se trouve à Lausanne :
"Dès mon arrivée, j'ouvre un journal suisse pour y lire que M. Louis Rollin, âgé de vingt-quatre ans, traversant la place Saint-François a fait une mauvaise chute "en
tombant sur son derrière". Cette information tient autant de place en dernière page que la nouvelle du coup d'Etat de Damas. Ainsi nous arrive-t-il, certains matins, de trouver dérisoire la
nouvelle d'une dévaluation ou de la chute d'un ministère. Tout ce qui nous préoccupe c'est une coupure de rasoir à notre menton."
En allant à Venise à 17 ans, j'avais emporté avec moi Je ne veux jamais l'oublier, où Bellagio joue un grand rôle pour Patrice et Olivia, et où Déon se retrouve le 6
décembre 1963 :
"Déjà je vivais dans la pensée de G. Qui allait si longtemps occuper ma réalité et mon imaginaire au point qu'aujourd'hui j'en arrive à ne plus savoir exactement si
l'épisode situé à Bellagio est vrai ou non, et que j'ai tourné le dos aux endroits où j'avais imaginé notre rencontre qui, en vérité, se passait à Saint-Jean-de-Luz".
A Saint Jean de Luz, où je compte passer de l'an 2009 au nouvel an 2010...
Paris, le 26 octobre 1983 :
"A dix heures, chez Lipp pour dîner, je tombe sur une table de ces vieux étudiants que sont restés Jacques Laurent et François Sentein. Nous replongeons dans nos
jeunesses. Tous les trois ayant aimé le maurrassisme et, sans le renier, s'en étant écartés"
Je me reconnais bien là avec trente ans de décalage...
J'approuve Déon quand il ajoute :
"Une doctrine au début de la vie intellectuelle est comme une grille pour déchiffrer un texte inconnu. Quand on a compris le système, il faut le jeter".
Le 5 novembre 1983, jour de la mort de mon père, Déon écrit :
"L'irrémédiable tendresse que j'éprouve pour mes deux enfants me fait souffrir autant qu'eux quand ils ne sont pas heureux".
Je peux dire de même à l'égard de mes deux fils, mais doute qu'ils ne sachent à quel point.
J'ai envie de répondre comme lui à la question que Déon se pose le 28 novembre 1983 :
"Qui sont les grands écrivains du XXe siècle français ? Proust et Céline, oui mais c'est oublier Giono, Aymé. Et où ranger Larbaud, Chardonne, Morand, Cendrars
?".
C'est alors que je me pose deux questions qui dérivent l'une de l'autre : Pourquoi aimons-nous un grand écrivain ? Parce que tout singulier qu'il est il nous parle sous le sceau
de l'authenticité de l'universel, c'est-à-dire de nous ?
Francis Richard
Nous en sommes au
522e jour de privation de liberté pour Max Göldi et Rachid Hamdani (de droite à gauche), les deux otages suisses
en Libye