Car Nguirane Faye n’a jamais été séquestré par des singes. Tout juste ses petits-enfants Mbissine et Mbissane, arrivés de France avec leur mère au lendemain de la mort du fils de Nguirane, s’amusent-ils avec malice et une certaine tyrannie à uriner sur son tapis de prière. Et « La fausse histoire de Ninki-Nanka » n’est qu’un seul des sept « Carnets » que le vieillard, au soir de sa vie, a entrepris de rédiger à l’attention d’un autre petit-fils, son préféré, Badou, parti à l’étranger, on ne sait où, et dont il est sans nouvelles depuis.
Nguirane Faye a beaucoup de choses à raconter à Badou. La vie à Niarela, petit quartier populaire de Dakar : ses habitants, ses fous, ses on-dit, ses non-dits. L’histoire de leur ancêtre et de leur famille : ses légendes, ses mensonges. La cohabitation avec sa belle-fille, Yacine Ndiaye, dont, pas plus que Mbissine et Mbissane, il ne connaissait l’existence avant qu’elle arrive de Marseille, veuve peu éplorée, et s’installe chez lui. Et puis, bien sûr, cette « fausse histoire de Ninki-Nanka », où un dictateur du nom de Dibi-Dibi promet au peuple le « changement » – en wolof, « sopi » était le slogan de campagne d’Abdoulaye Wade en 2000 – tout en le méprisant royalement…
Beaucoup de désordre, beaucoup de métaphores, beaucoup de choses difficiles à palper dans ce livre formidablement mal foutu et, il faut le dire, quelque peu déroutant… mais dont il se dégage une certaine sensation de cohérence. Nguirane Faye passe du coq à l’âne mais, évidemment, Boubacar Boris Diop le fera retomber sur ses pattes, à la fin. Boubacar Boris Diop qu’on sent malgré tout très présent, qu’on entend souffler quelques digressions à l’oreille du narrateur, qu’on voit tailler la plume qu’une autre main plantera là où ça fait mal.
Les Petits de la guenon, j’aurais dû le préciser dès le début, sont la traduction en français, par Boubacar Boris Diop « himself », de Doomi Golo, roman écrit en wolof par le même Boubacar Boris Diop. Ecriture militante s’il en est ; d’ailleurs, qu’il s’agisse de la condescendance de Yacine Ndiaye la Marseillaise vis-à-vis de ses voisins de Niarela, de l’histoire de la lutte sénégalaise avec frappe inventée par un Français, ou des réflexions sur le premier baiser sur la bouche échangé en Afrique, l’auteur nous rappelle combien l’influence d’une culture sur l’autre peut être insidieuse. C’est un des nombreux messages que contient le roman. Mais il y a aussi la dénonciation des dirigeants politiques corrompus, qui ont volé l’indépendance et séquestré la démocratie, quand le modèle de Nguirane Faye – et de Boubacar Boris Diop, on l’aura compris – reste Cheikh Anta Diop.
Enfin, plus que la figure du singe, c’est celle du fou qui hante ce roman. Un fou qui ira jusqu’à prendre le relais des « Carnets » de Nguirane Faye dans un récit plein de sagesses dont il faut tirer deux leçons : 1) Les fous ne sont pas toujours ceux que l’on croit. 2) Ceux dont on ne croit pas qu’ils sont fous devraient davantage écouter la part de folie du pays qu’ils sont censés diriger.
Les Petits de la guenon
de Boubacar Boris Diop
Philippe Rey, 2009
439 p., 19,50 euros
Lire aussi l’analyse qui est faite des Petits de la guenon par La Plume francophone.