Trente ans après, et alors que les films de science-fiction continuent à interroger de manière plus ou moins réussie l'altérité humaine, la réutilisation de l'affiche cinématographique par le groupe de death métal suédois est intéressante de deux points de vue. D'une part elle fait allusion à une icône de la contre-culture, à travers ce qu'on peut véritablement appeler un "clin-d'oeil", un signe de connivence culturelle avec son public d'adolescents et de jeunes adultes bercés par la musique alternative et les films de série B d'origine américaine. Le détournement facétieux de l'image originelle est de plus caractéristique de l'esprit de la formation qui, malgré la teneur réputée difficile de son message musical, est connue pour son sens de l'auto-dérision: en témoigne même la reprise de la phrase d'appel originale, “In space no one can hear you”, avec l'ajout précisant “unless you scream”, et qui fait allusion au faciès hurlant de Jens Kidman au centre de l'image, en lieu et place de l'œuf en éclosion de la créature extra-terrestre. Ces deux aspects alimentent l'aspect proprement amusant de la citation iconographique.
“I'm in the stranger: me (lost in corporeal inanity), the user of my face”
(Meshuggah, “Concatenation”, in Chaosphere, 1998)
On assiste donc, à travers ce qui pourrait sembler une simple citation culturelle destinée à mieux “cibler” la clientèle d'un point de vue marketing, à une réappropriation d'un symbole, qui s'effectue selon la modalité d'une intériorisation de ce que représentait la race de l'Alien: l'autre de l'homme. L'autre extérieur à l'homme, l'autre race, devient l'étranger intérieur à l'homme même. La peur se mue en folie. Meshuggah psychologise ce qui était en 1979 vécu sur le mode du récit semi-fantastique, semi-épique, avec toutes les résonances post-coloniales que l'on peut y trouver. Avec Meshuggah, l'alien devient aliéné, l'œuf extra-humain de Ridley Scott devient le fou hurlant d'une humanité qui se cherche en elle-même mais ne se trouve pas.