J'aimerais écrire quelque chose (juste « quelque chose ») sur ce phénomène adolescent que je n'ai pas connu (Coup de tête c'est trop tôt, récit initiatique de l'avant Internet) qu'est le lifecasting, comprendre la diffusion vidéo, par streaming, parfois en direct, parfois permanente, de la vie de leurs utilisateurs1. Ceux-ci sont à la fois diffuseurs, réalisateurs, metteurs en scène, acteurs et scénaristes de leur propre petite fiction vidéo. Youtube, ordinateur, micro et webcam sont les outils. Il n'y a pas de texte, tout est image. Donc tout est vrai. Donc tout est faux.
Je ne sais pas qui serai(en)t mon/mes personnage(s). Je ne sais pas quelle serait, justement, la mise en scène. L'instinct, ce serait de ne retenir que le discours, le flux de parole capté micro-webcam. L'oeil de la caméra serait le focalisateur commun de tous les corps en mouvement devant l'écran. Mais pour dire quoi, pour montrer qui, ça je ne saurais pas dire.
Il y a une quinzaine de jours, S. nous parlait des évolutions Twitter qui se rapproche de ces expériences de lifecasting, par exemple :
- * avec usage d'un GPS qui twitte toutes les X minutes la position de l'utilisateur, savoir en temps réel la position de celui-ci durant ses déplacements
- * avec placement d'un appareil photos autour du cou qui twitte toutes les X minutes une photo automatique de ce qui est vu par l'utilisateur.
Le principe est le même pour Youtube, dont le slogan est bien « Broadcast yourself » : à la fois « diffuse toi-même » mais aussi « diffuse-toi toi-même ». Les utilisateurs Youtube ne font pas que diffuser du contenu, on s'y diffuse également le corps, la parole et le quotidien le plus élémentaire, dans des vidéos courtes, extraits de journaux vidéo, montées ou non (vidéo + blog = vlog). Ces vidéos-là sont fascinantes, non pas par ce qui y est dit ou montré (« quotidien le plus élémentaire ») mais simplement parce qu'elles existent. Qu'un adolescent de 14 ans puisse faire son coming out par chaîne Youtube interposée quand je ne parvenais pas, au même âge, à me le murmurer à moi-même est à la fois inconcevable et captivant. Comme fuite en avant (image), c'est fascinant.
Je ne sais pas ce que j'écrirais si je devais aujourd'hui commencer ce projet qui n'en est pas un, ce texte mort-né puisque inexistant. Je ne sais pas quel serait son titre ni son contenu. C'est 1984 à l'envers, c'est pousser l'autofiction à son paroxysme, c'est s'incarner comme acteur de sa propre vie, mais en image. Il ne s'agit que de « notes pour une idée susceptible d'exister », je ne sais pas encore quoi en faire. Recherche web : mon nom civil est désormais introuvable via Google. Abreuver cet espace de mots quasi quotidiens ne me rend pas visible pour autant. Je reste encore invisible, loin derrière les mots, fondu en blanc sur blanc dans l'arrière plan de la page. Plus je remplis le blog et plus je suis convaincu qu'il est vide.
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1 Quelques dates pour repères chronologiques : 1949, parution de 1984 de George Orwell / 1963, Andy Warhol tourne Sleep, « anti film » dans lequel John Giorno dort durant huit heures / 1994, Steve Mann propose pour la première fois une diffusion 24h/24 et 7j/7 de son quotidien via caméra vidéo / 1996, lancement du site JenniCam, une étudiante de 19 ans propose de suivre son quotidien par webcam /1999, diffusion de la première version hollandaise de Big Brother, première émission de TV réalité (en France Loft Story,2001) / 2007, Justin Kan lance Justin.TV, où il propose de suivre son quotidien 24h/24 et 7j/7, webcam fixée sur sa casquette en permanence. Plus tard, Justin.TV devient une plateforme de vidéos en direct (réseau aujourd'hui composé de plusieurs milliers de chaînes, parmi lesquelles des chaînes de lifecasting) / 2008, Abraham K. Briggs, 19 ans, se suicide en direct sur sa chaine Justin.TV devant plusieurs centaines de spectateurs.