L’urgence de réviser l’histoire politique et économique des années 1930

Par Magazinenagg

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Celui qui ne connaît pas l’histoire est condamné à la répéter, dit l’adage. La difficulté n’est pas de reconnaître la valeur de cet adage, mais de réaliser à quel point il est difficile de connaître l’histoire. Celle-ci n’est pas qu’un amalgame d’information, encore faut-il l’interpréter, ce qui n’est pas simple. Pour connaître l’histoire politique d’une période donnée on doit être en mesure de l’analyser sous plusieurs angles différents. Cette tâche s’avère d’autant plus difficile à finaliser que les points de vue économiques sont parfois diamétralement opposés.


Par exemple, les tenants de l’École autrichienne d’économie considèrent que la version populaire de l’histoire politique des années 1930, particulièrement aux États-Unis, est truffée d’erreurs et conséquemment à revoir. Malheureusement, cette école de pensée a relativement peu d’adeptes, car elle est ignorée des universités. Il y a de l’espoir, cependant, car la venue d’Internet lui permet de rayonner comme jamais, notamment grâce à l’Institut Ludwig von Mises.


Pour illustrer le fossé qui sépare les «autrichiens» des autres économistes, j’analyse succinctement les propos du journaliste Marc Bourgault, tenus le 24 novembre dernier à la radio de la Société Radio-Canada, car ils me semblent représentatifs de ce que pense la majorité des gens, profanes et experts. Je focalise sur les politiques monétaires, alors qu’une analyse exhaustive exigerait de tenir compte également des politiques fiscales et des multiples législations mises de l’avant.

Animateur : «Ça fait maintenant un an qu’un plan de sauvetage des banques a été adopté dans plusieurs grands pays industriels. Selon la plupart des économistes, ce plan a réussi à atteindre ses objectifs de remettre l’économie sur les rails, mais il reste encore quelques problèmes épineux à régler si l’on ne veut pas qu’une telle situation se reproduise. Marc Bourgault est avec nous pour en parler. Bonjour Marc! Bonjour Jocelyn! Qu’est-ce qui reste comme problème?»
Marc Bourgault : «La grande question que tout le monde se pose actuellement, c’est comment savoir quand ça va être le bon moment pour retirer ces plans de stimulation, ces argents qui ont été injecté dans l’économie avant que ces énormes liquidités ne provoquent de l’inflation. Quand même! Il ne faudrait pas le faire trop tôt parce qu’on a déjà l’expérience de 1937 alors que l’économie américaine était en bonne de voie de se remettre de la Grande Dépression. À ce moment-là le président Roosevelt avait commencé à retirer les mesures de stimulation qui avaient été mises en place et l’économie avait aussitôt replongée, alors il avait fallu faire marche arrière; mais c’est la guerre, finalement, qui avait tirée l’économie américaine dans [de] l’ornière dans laquelle elle était tombée. On ne veut pas que cela se reproduise.»

Avant de se poser la question à savoir si ces argents injectés dans l’économie vont causer de l’inflation ou non, on doit se poser la question à savoir s’ils ont atteint leur but, soit de stimuler l’économie. Si l’on en juge par les indices boursiers il n’y aucun doute possible, ces argents ont effectivement stimulé l’économie, alors les gouvernements peuvent crier victoire. Toutefois, il s’agit d’une victoire à la Pyrrhus, car injecter de l’argent dans l’économie la stimule de la même façon que le drogué par une dose supplémentaire.


Les indices boursiers peuvent être de bons indicateurs de l’état de l’économie lorsqu’on les analyse sur une longue période, mais ils ne constituent qu’un indicateur parmi d’autres. Par conséquent, il est conseillé de ne pas se servir uniquement d’eux pour se faire une idée de l’économie dans son ensemble.


Injecter de l’argent dans l’économie par l’entremise d’emprunt stimule les secteurs d’activités qui le reçoivent, mais au détriment des contribuables qui auront à le payer sous une forme ou une autre. On peut penser à une réduction des services ou de leur qualité, une augmentation des impôts ou des taxes, voire une combinaison ou l’ensemble de ces possibilités.


Il y a pire, car les sommes d’argent injectées par les gouvernements ne proviennent pas uniquement de l’emprunt, mais aussi de leurs banques centrales. Celles-ci créent de l’argent neuf qui tend à redistribuer les richesses en faveur de ceux le recevant en premier, notamment les gouvernements et les banques commerciales. Les gouvernements en tirent avantage parce qu’il leur permet de financer leurs dettes sur le dos des consommateurs, tandis que les banques en tirent profit parce que cet argent transite par elles et leur permet, à leur tour, d’en créer et d’en tirer un intérêt via la politique des réserves fractionnaires.


La plupart des économistes et des financiers, cependant, ne voient pas les choses du même oeil. Ils considèrent l’argent comme de l’huile qui permet à l’économie de rouler sans grincer. Que les financiers défendent un processus qui leur est favorable monétairement est facile à comprendre, mais que la majorité des économistes défende ce même processus est moins évident. Les économistes ne voient pas, ou à tout le moins ne veulent pas voir, la redistribution des richesses qu’engendre la banque centrale par son pouvoir discrétionnaire à créer de la monnaie. Ils préfèrent accuser les banquiers de cupidité, particulièrement lorsque survient une crise économique. Or, les banquiers ne sont pas plus cupides que les autres individus, ils sont plutôt bien placés, à savoir premiers bénéficiaires de la redistribution engendrée par l’inflation monétaire.


Les économistes prennent l’effet pour la cause. La cupidité des banquiers n’est pas la cause des crises économiques, ni d’ailleurs de leur richesse. Elle est le propre de la nature humaine. Elle s’avère prononcée chez les banquiers parce que le système monétaire actuel leur permet de créer de l’argent tout en étant les premiers bénéficiaires de celui créé directement par la banque centrale. Par conséquent, si les économistes tiennent tant à une plus grande moralité dans le monde de la finance, ils devraient remettre en question le système qui est à l’origine des crises économiques plutôt que les banquiers qui en profitent. Mais voilà, remettre en question ce système signifie également remettre en question leur enseignement, les conseils qu’ils donnent aux politiciens et leurs postes à la banque centrale. Dans cette perspective, on comprend mieux pourquoi tous ces gens cherchent davantage des boucs émissaires qu’à critiquer le système. On crache rarement dans la main qui nous nourrit.

La hausse des marchés boursiers, ou plus généralement des marchés des capitaux, est vue comme un signe positif de l’état de l’économie, alors que trop souvent elle n’est le reflet que de l’augmentation de la quantité de monnaie. Un autre indice trompeur est le PIB. Celui-ci a une forte composante gouvernementale, de sorte que lorsque le gouvernement dépense l’argent des contribuables, toutes choses étant égales par ailleurs, le PIB tend à augmenter. Peu importe que ces dépenses soient justifiées ou non, le PIB augmente et cela est considéré positif par la plupart des gens, alors que ce ne l’est pas nécessairement. En effet, les dépenses des consommateurs reflètent des choix individuels, alors que les dépenses des gouvernements reflètent des choix supposément collectifs. La différence entre ces deux façons de procéder en est une de degré de liberté individuelle.


On se sert également du taux de chômage pour indiquer le succès ou non des divers programmes de stimulation, mais à l’instar des autres indices économiques, ce taux doit être interprété avec prudence. Engager des fonctionnaires ou d’autres employés de l’État réduit le taux de chômage, toutes choses égales par ailleurs, mais ces emplois ne contribuent pas nécessairement à la richesse d’une société. En effet, du point de vue praxéologique (économique au sens de l’École autrichienne) ces emplois relèvent d’une perte de liberté puisqu’ils sont imposés par les gouvernements sous différents prétextes. Cette façon de procéder a été utilisée à l’extrême en ex-URSS avec les résultats qu’on connaît. Malheureusement, à constater le nombre croissant de fonctionnaires retraités de l’assurance emploi et d’autres services gouvernementaux à qui l’on demande de revenir travailler, il faut croire que l’on n’a rien compris de l’histoire économique.


En somme, que l’argent injecté par les gouvernements dans l’économie provienne de l’emprunt ou de l’inflation monétaire, cela n’améliore pas le niveau de vie des consommateurs, si ce n’est que pour certains d’entre eux et uniquement pour une période passagère. Ces argents améliorent tout au plus certains indicateurs économiques, mais dans ce cas ou bien l’interprétation qu’on en donne est boiteuse ou bien la valeur qu’on leur attribue est à remettre en question. On ne partage donc pas l’opinion quasi unanime des économistes, financiers et politiciens à savoir que les plans de relance aient atteint leurs objectifs.


Retirer prudemment les plans de relance ?


Pour la majorité des experts la question qui se pose maintenant n’est pas de savoir si les argents injectés ont atteint leurs buts, mais de déterminer quand les retirer afin qu’ils ne causent pas d’inflation. L’inflation est entendue par eux comme étant une hausse moyenne des prix des biens et des services. Dans cette perspective, lorsque du nouvel argent est injecté dans l’économie le risque d’inflation augmente. Une inflation élevée réduirait le succès apparent des plans de relance. Pour jauger cette inflation les économistes utilisent notamment l’indice des prix à la consommation. Lorsque cet indice est sous contrôle et que la bourse ou le PIB augmente, on conclut au succès de la gestion de l’économie par les hommes de l’État.


Les problèmes avec cette façon de voir sont nombreux. Les prix des biens et des services augmentent pour plusieurs raisons différentes dont une augmentation soudaine de la demande, une rareté causée pour une raison ou une autre et une augmentation de nouvelle monnaie injectée dans l’économie. L’injection monétaire, cependant, ne se traduit pas automatiquement par une hausse des prix des biens et des services. Cela dépend du taux de productivité. Si celui-ci est suffisamment élevé pour contrebalancer l’inflation monétaire, alors il n’y a pas de hausse des prix. De même, si le nouvel argent se retrouve majoritairement dans les marchés des capitaux, comme dans les années 1920, 1990 et 2000, alors la hausse de l’indice des prix à la consommation est minime puisque ces marchés n’en font pas partie.


Définir l’inflation comme étant une hausse moyenne des prix des biens et des services de consommation réduit le champ de vision au point de déformer la réalité. Par exemple, les causes de l’augmentation du prix de l’essence à l’été 2005 en Amérique du Nord ne sont pas celles de son augmentation à l’été 2008. La première répondait aux dommages causés aux plates-formes et aux puits de forage suivant l’ouragan Katrina, alors que la seconde augmentation était le résultat de marchés boursiers en ébullition un peu partout dans le monde. Cette effervescence, à son tour, était due à l’inflation monétaire des années précédentes. À observer uniquement l’indice des prix à la consommation, cependant, on est incapable d’arriver à ces conclusions, d’où la tendance à accuser les entreprises, dans ce cas-ci les pétrolières, pour la hausse des prix.


Définir l’inflation comme étant une hausse moyenne des prix des biens et des services de consommation inverse la cause de la crise économique pour l’attribuer à des entreprises qui n’en sont nullement responsables. Cela conduit les gouvernements à prendre des mesures punitives contre elles et réduit d’autant la capacité de l’économie à se relever. Non seulement il n’y a pas un seul gouvernement dans le monde qui accepte le blâme pour la crise, mais l’immense majorité des partis d’opposition ne l’accepte pas non plus. Ils accusent tous le capitalisme, par conséquent leurs critiques du gouvernement se distinguent uniquement en terme de degré d’intervention à mettre de l’avant pour en sortir. Au Canada, au niveau fédéral, tous les partis d’opposition considèrent que le gouvernement n’en fait pas assez : pas assez de dépenses, pas assez d’argent injecté, pas assez de pénalités aux soi-disant coupables, pas assez de réglementions, etc. Pourtant, à l’instar de la plupart des gouvernements du monde, le gouvernement canadien est intervenu massivement dans l’économie dans l’idée de sortir de la crise.


La Grande Dépression revue à la lumière de l’inflation monétaire



Cette croyance en l’omnipotence de l’État provient en partie de l’idée qu’on se fait de l’histoire économique des années 1930, à savoir que les politiciens ont sauvé le capitalisme de la mort. Il s’agit pourtant de revenir à la définition de l’inflation utilisée au 19e siècle, à savoir une augmentation de la quantité de monnaie sans contrepartie métallique, pour obtenir un portrait entièrement différent.


Les années 1920 aux États-Unis ont été caractérisées par un faible taux d’inflation des prix, ce qui a conduit les économistes à ne pas trop se soucier de l’inflation monétaire. Or, selon la mesure la plus conservatrice de cette «vieille» définition de l’inflation, celle-ci était de l'ordre de 7,3% par année entre le milieu de 1921 et la fin de 1928. Cette inflation monétaire ne s’est pas traduite par une inflation des prix, car elle s’est retrouvée, au milieu des années 1920, dans les marchés immobiliers et obligataires et à la fin de celles-ci, dans le marché boursier. L'indice Dow Jones augmenta de quelque 300% en l'espace de cinq ans.


Lorsque cet indice s’est effondré en octobre 1929 la Réserve fédérale a inondé les marchés de liquidité dans l’idée de stimuler l’économie. Cependant, l’inflation monétaire de la banque centrale fut contrecarrée à la fois par le nombre élevé des faillites bancaires, la hausse des réserves des banques qui demeuraient solvables et la vigilance de plusieurs individus à retirer leur or des banques avant que la bourse ne s’effondre. Se contenter de dire que la déflation est à éviter comme la peste à cause de l’écroulement de l’économie qui suivit le krach boursier passe donc à côté de la réalité.


Inonder les marchés de liquidité pour éviter une répétition de ces années troubles laisse entendre que la banque centrale n’avait pas été assez agressive à l’époque et que si elle l’avait été, alors la bourse et plus généralement l’économie auraient repris de la vigueur plus rapidement. Il ne vient pas à l’esprit des gens qui soutiennent cette version de l’histoire qu’une inflation monétaire monstre pourrait également engendrée une hyperinflation des prix du genre de celle qu’a connue l’Allemagne au début des années 1920 ou le Zimbabwe l’année dernière.

Du constat de déflation les économistes concluent à la dépression économique. Autrement dit, ils voient la déflation monétaire comme étant la cause de la dépression. Or, une déflation n'est possible que s'il y a inflation au préalable. On ne doit pas se contenter de corréler les événements, on doit déterminer s’ils sont liés par une relation de cause à effet. Derrière la peur de la déflation se cache la remise en question de l’omnipotence de l’État et cela est insupportable à la majorité des gens.


La déflation est combattue non seulement par la banque centrale, mais tout l’appareil d’État. En 1932, le président Hoover met en place la Reconstruction Finance Corporation dans le but d’aider financièrement les institutions financières, les compagnies de chemin de fer et les divers paliers gouvernementaux. Cet organisme avait également d’autres mandats moins connus, tel l’achat d’or dans le but d’en réduire l’influence. Le gouvernement voulait avoir les mains libres pour créer toute la monnaie qu’il voulait sans qu’il soit possible aux épargnants de retirer leur or du système bancaire et ainsi contrecarrer les plans inflationnistes du gouvernement central. En 1934, l’or fut interdit comme moyen d’échange entre les particuliers. Ces achats massifs d’or ont contribué, dans l’ordre, à augmenter son prix progressivement de 69% en l’espace de deux ans, passant ainsi de 20,67$ en janvier 1932 à 35$ à la fin de 1933, à renflouer les réserves bancaires et à augmenter le crédit. Cette inflation du crédit bancaire a donné une fois de plus l’illusion d’une reprise économique entre 1934 et 1936 avant de replonger en 1937.


Par ailleurs, le manque de rigueur à distinguer l’aspect monétaire de l’aspect des prix conduit la plupart des économistes et la quasi-totalité des politiciens à combattre non seulement la réduction de la quantité de monnaie, mais également toute réduction des prix. Or, ce phénomène est garant de la hausse de productivité, par conséquent de l’augmentation de richesse. La plupart des gens croient notamment que les salaires ne devraient pas baisser, car cela réduirait le pouvoir d’achat des consommateurs, ce qui est faux. Si les prix des biens baissent plus rapidement que les salaires, ce qui est généralement le cas dans un marché libre, alors le pouvoir d’achat des consommateurs augmente. Malheureusement, la phobie de la déflation des prix l’emporte sur la raison. Les économistes conseillent les politiciens de l’éviter et ceux-ci passent des lois pour s’assurer que les prix et les salaires ne baissent pas. On pense notamment à la National Recovery Act. Il va sans dire que lorsqu’une entreprise ne peut plus faire sa niche sur la base de prix plus bas, l’économie en souffre.


En 1937 les salaires augmentent prodigieusement grâce à un verdict de la cour favorable à la National Labor Relations Act, soit une des multiples législations établies lors des années 1930. Cette augmentation, soudaine et importante, conduit les entreprises à effectuer des mises à pied massives dans le but de rester compétitive, voire simplement de survivre. La productivité plonge, les profits baissent, les banques ne prêtent plus d’argent, bref le pays se retrouve de nouveau en récession.


L’histoire populaire fait fi de cette réalité, c’est-à-dire des conséquences néfastes des multiples programmes de dépense gouvernementale pour stimuler l’économie. Elle se contente de corréler des événements plutôt que de déterminer s’ils sont liés par une relation de cause à effet. La réduction du déficit par le président Roosevelt en 1937 est considérée par plusieurs comme étant la cause du retour en récession de l’économie, d’où les appels à poursuivre les dépenses dites de stimulation. Cela ne tient pas la route, car dans ce cas il faudrait être en mesure d’expliquer comment l’économie a rapidement repris de la vigueur suivant la Seconde Guerre mondiale alors que les dépenses et les déficits étaient réduits radicalement.


En somme, la rechute de l’économie en 1937 n’est aucunement due à la relâche des mesures de stimulation, mais à leurs conséquences. Étant donné que le gouvernement ne reconnaît pas ses torts, qu’il ne reconnaît pas que l’inflation monétaire est une des causes principales de la crise, il l’utilise de nouveau comme remède. Il faut attendre la fin de la guerre, et non la guerre elle-même comme le mentionne Marc Bourgault et le croit bon nombre d’économistes, pour retrouver le chemin de la prospérité. Plusieurs des programmes établis lors de la Grande Dépression sont abandonnés, ce qui permet à la liberté des échanges de reprendre le dessus et de produire de la richesse.


Va-t-on répéter les mêmes erreurs ?