Je me souviens qu’au lycée, lors des devoirs de dissertation, je me livrais avec quelques amis cancres à un jeu d’écriture qui consistait à introduire le plus souvent possible un mot n’ayant strictement rien à voir avec le sujet imposé. Par exemple : "Vélosolex", dans une analyse d’un texte de Ronsard… Nos exercices de style étaient évidemment sanctionnés sévèrement par nos professeurs, mais que de fous rires à relire nos devoirs !
Je crois qu’Olivier Cena, critique (chroniqueur) à Télérama, joue aussi à ce jeu, même si c’est sans doute plus sérieux et si lui ne risque rien : manifestement, il essaie de placer les noms de «Rebeyrolle» et de «Leroy» aussi souvent que possible, quel que soit le thème de son article. Cela dure depuis plusieurs années, et bien des lecteurs doivent s’amuser à compter les points.
La semaine dernière, dans sa chronique sur l’actuelle rétrospective Soulages, à Beaubourg, il a réussi à placer les deux. Cette semaine, petite forme, c’est seulement Leroy qui apparaît. Ce sont au demeurant d’excellents peintres, des artistes très importants, que beaucoup, dont je fais partie, regrettent de ne pas voir mieux considérés par le monde de l’art officiel. Cena ne s’en remet pas, c’est sûr, mais cette injustice ne concerne pas que ces deux peintres, loin de là, alors pourquoi ne prend-il pas une position plus marquée en faveur de bon nombre d’artistes dissidents, qui manquent singulièrement de tribunes ? Je reconnais ses tentatives d’objectivité, au milieu des propositions artistiques actuelles, mais à mes yeux de lecteur, elles sont souvent équivoques, voire contradictoires.
A propos de Soulages, Cena a réussi à m’énerver (comme presque toutes les semaines, finalement) : il a trouvé l’exposition trop pédagogique ! Un comble. Cet évènement est un moment rare où un artiste peut superviser lui-même son accrochage, qui devient ainsi une œuvre à part entière. Une sorte de mise en abîme de la composition et de la recherche. Un artiste qui, simplement parce qu’il est encore là, anticipe le regard de l’autre, de celui qui regardera, pour l’aider, mais sans forcer. Il fallait juste s’arrêter pour observer les visiteurs qui entraient, allaient d’une toile à l’autre, revenaient, comparaient dates, formats, séries, et pénétraient lentement dans une peinture plutôt difficile d’accès. Comment peut-on, alors que tout le monde se plaint de la perte des repères (en art aussi), regretter qu’une exposition soit pédagogique ?
Cena a aussi un problème avec le décoratif. Ce mot fait partie de ceux qu’il insère (péjorativement) régulièrement dans ses papiers. Il y a du subliminal dans tout ça. C’est peut-être ce qui fait la nuance entre critique et chronique ?
J’ai pour ma part tendance à mettre souvent dans le même sac Olivier Cena et Philippe Dagen (le Monde), tous deux ayant apparemment (c’est en tous cas mon impression de lecteur de leurs articles) la même difficulté à prendre une position claire dans les débats autour de l’art. Pour Dagen, je comprends mieux quand je découvre qu’il fait partie des membres qualifiés à qui l’Etat a confié panier et porte monnaie (400 000 €, tout de même !) pour aller faire le marché à la dernière FIAC, et rapporter sur leurs Vélosolex des œuvres de créateurs émergents qui alimenteront les collections publiques. (Pour Cena, je comprends moins, me demandant ce qui le retient encore).
Un petit tour sur le site du CNAP(1), qui détaille la liste des artistes choisis à la FIAC, donne une excellente idée de l’esprit des décideurs. On dirait qu'eux aussi jouent à une variante de notre petit jeu : réussir à placer coûte que coûte une ou deux peintures dans les achats, sans doute pour faire taire les chagrins qui se plaignent de la mauvaise place (quand il y en a une) attribuée à ce genre dans l’art contemporain. Mais surtout, ils semblent veiller (serait-ce dans les règles du jeu ?) à ce que cette peinture ne paraisse pas moins superficielle et vide que la plupart des œuvres choisies dans les autres disciplines. Et qui compte les points ?
1 Centre National des Arts Plastiques