Véritable saga où les personnages se croisent sans se connaître puis se retrouvent, flash-back et mise en abîme, l'écrivain tel un démiurge manipule ses personnages à son gré et nous entraîne dans la chronique d'une dynastie qui règne dans tous les secteurs de la vie publique de l'Angleterre des années Thatcher.
Un jeune écrivain dépressif et le plus souvent reclus chez lui, Michael Owen, accepte par hasard de rédiger l'histoire des Winshaw à la demande d'une vieille femme, Tabitha Winshaw qu'on dit folle car elle prétend qu'un de ses neveux aurait été responsable de la mort de son frère pendant la seconde guerre mondiale. Son enquête va révéler la vraie personnalité des descendants de cette dynastie. Un banquier véreux, un galeriste pratiquant le droit de cuissage, un marchand d'arme trafiquant avec Saddam Hussein, une journaliste sans morale, un politicien corrompu, la galerie de portraits nous fait tomber de Charibe en Scylla. L'enquêteur s'avèrera moins étranger aux Winshaw qu'il ne l'aurait pensé quand le puzzle commencera à se mettre en place et l'épilogue tragique au plus haut point n'épargnera personne.
Le roman mêle la critique sociale de l'Angleterre des années 80 pendant l'ère Thatcher avec le polar et Jonathan Coe balance des piques contre la télévision ou l'art moderne qui nous éloignent de l'intrigue policière avant de nous y faire revenir mine de rien, quelques pages plus loin, afin de mieux nous ferrer.
Le scénario particulièrement habile nous tient en haleine jusqu'à la dernière page et c'est le paradoxe de ce livre, car à y regarder de plus près certains passages ou scènes sont carrément ridicules - ou bien il s'agit de second degré - surtout la fin du roman quand tout le monde se retrouve dans le manoir isolé sur la lande pour un finale digne d'un film gore de série Z. Je ne sais pas comment Coe s'y prend mais ça fonctionne, j'ai fait abstraction de ces scènes peu crédibles sans effort pour savoir comment se terminerait cette histoire extraordinaire.
« Hilary bailla. A sept heures vingt-cinq, ils regardèrent une histoire de médecin écossais avec sa gouvernante, qui paraissait très lente et très provinciale. Alan expliqua que c'était u des programmes les plus populaires. Hilary n'en avait jamais entendu parler. « On commentera demain cet épisode dans chaque bureau, dans chaque usine de Grande-Bretagne, dit-il. C'est ça la grande force de la télévision : elle forme un lien entre toutes les parties de la nation. Elle annule les différences de classe et contribue à créer un sentiment d'identité nationale ». »