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Si vous claironnez à qui veut bien l’entendre que Captain Samouraï Flower, aka Pascal Obispo, incarne l’avenir de la pop, qu’il est à la France ce que furent les Beatles à la Perfide Albion, vous êtes un gros blaireau, un buson (un lointain parent de la buse). Bref, un gros nul. Précipitez-vous donc sur Le rock pour les nuls afin de remédier définitivement à ce terrible désagrément. L’indispensable collection a confié à Nicolas Dupuy, merveilleux conteur des blogs Crosstown Traffic et Are You Experienced?, le soin de narrer avec force détails l’histoire de ces trois accords mythiques qui changèrent la face de monde, puisqu’il semble qu’à l’heure où j’écris, il aurait également franchi, plus intrépide que jamais, les frontières de l’Iran (Les Inrocks du 16/12). Je ne ferai pas à l’affront à l’auteur de tenter de résumer le sujet qu’il décrit avec qui, mais avec brio. Non, je voudrais évoquer l’écriture. Malgré (ou avec) le format de la célèbre collection, le verbe lui prend la forme d’une déflagration sonique. OUH. Roboratif, bourré d’humour, lettré, quasi sexuel, le style de Nicolas Dupuy me fait songer au travail de George Martin : un prodige d’arrangement sans lequel la grande saga du rock n’aurait pu prendre littéralement vie. Mais l’exigence littéraire va au-delà du simple plaisir individuel. Il s’agit là comme le disait Morrison d’un lent et méthodique dérèglement de tous les sens. Je m’explique. Le mariage du rock et de l’écrit tout comme les 3 accords sus cités ne date pas d’hier. Il prend sa source dans la littérature beat qui s’était elle-même amourachée du jazz et du folk. Avec le rock vient l’avènement du rock critic. Car il faut un être à la mesure de ce genre neuf, braillard et juvénile, capable d’en perpétuer la légende. C’est bien de cela dont il s’agit. Parce qu’il était à même de bouleverser l’ordre mondial, le rock a très tôt compris là où était son intérêt. Une pochette qui flashe comme un cran d’arrêt dans la nuit, des photos qui dans l’intimité des chambres adolescentes chatouillent les hormones, et enfin, des tribunes entières où les mots sont des instruments et les phrases de longs soli qui résonnent dans l’air des stades en furie. Alors que la musique se grave dans le marbre des studios, l’écrit suit quasi le même chemin : c’est dans les livres et les fanzines qu’il répand son encre énervée, contribuant ainsi à immortaliser les rockeurs et leur création, leurs faits et gestes, les affres d’une existence livrée en pâture aux appétits du monde. Lui aussi possède son propre panthéon avec ses héros magnifiques dont Lester Bangs incarne la figure emblématique. Les années zéro ne sont pas en reste. Après nous avoir livré, en archéologue patient et émérite, les secrets les mieux conservés du rock, mythes et anecdotes, Nicolas Dupuy honore cette longue tradition d’écrivains sous amphés et sur amplis en abordant le genre dans son ensemble. Il en triture la mémoire et avec quel talent. Celui du biographe érudit. Petit florilège de ces moments de bravoure : « Avec le Velvet Underground, c’est en effet la crasse urbaine new-yorkaise – et sa faune dépressive de drogués et de travestis – qui entre pour la première fois de plain-pied dans le rock, dès leur premier album The Velvet Undergound & Nico qui sort en 1967. » Et à propos de Can : « L’électronique et le synthétiseur y sont rois, un peu despotes même, et se font les vaisseaux (spatiaux, bien sûr !) d’une longue et lente exploration d’atmosphères sonores incertaines… » Ou encore en évoquant le Pink Floyd des années Syd : « … Onze titres composant un kaléidoscope de comptines rock insensées, irriguées des délires poétiques de Barrett et d’ambiances sonores électroniques avant-gardistes. » Sans parler des saillies lyriques comme « Slick possède une voix superbe, opératique, tour à tour cajoleuse, tragique, provocante et railleuse. » Oh, bien sûr, parmi ces formules subtilement trouvées, et tournées, je voulais vous réserver le meilleur, comme ça, pour la fin : « Shebam Blog Pop Wizz, chroniques littéraires pointues sur le rock. » Tout est dit.