C’est du propre ! J’ai à peine décidé de ralentir le rythme des billets pour deux petites semaines qu’évidemment, la Ligue des Gentlemen Extra-Comiques lance un assaut de Citoyenneté Festive. C’est la Phalange Armée des Antiracistes de Combat qui se jette donc dans l’arène et décide de désosser du Débat Gouvernemental. Et ça charcute grave.
C’est par le truchement de l’inénarrable tabloboboïde quotidien Libération que j’ai appris la nouvelle : SOS Racisme lance une pétition.
Il y a donc un joli petit site, tout de noir et de jaune vêtu (c’est scandaleux, il n’y a pas toutes les nuances de marron et de rose, c’est de la discrimination !) qui permet de lancer un cri rauque, puissant et salvateur, vers le gouvernement de fachiss’ qui font plonger le pays dans les zeures les plus sombres de son histoire : arretezcedebat.com (prononcez, je suppose : Arrêtez ce débat con !)
Comme le relate le positivement comique article des folliculaires de Libé, SOS Racisme a donc décidé que le débat ne devait plus avoir lieu. En effet, en lançant une telle polémique, le gouvernement ne pouvait, selon l’association relayée bruyamment par un journal tout acquis à sa cause, qu’aboutir à libérer une parole au mieux « stigmatisante », au pire « raciste ».
Et en France, pays des droits de l’Homme, de la liberté d’expression politique et religieuse, la parole raciste n’a pas le droit de s’exprimer. Tout simplement, nous explique-t-on doctement, parce que le racisme n’est pas une opinion. Dès lors, on ne peut pas l’exprimer.
Ainsi, si l’on veut interdire la banane parce qu’elle est trop … jaune, mettons, il suffira de laisser libre commerce sur tous les fruits, et dire que la banane n’est pas un fruit, et le tour est joué. Habile.
Evidemment, pareil subterfuge serait visible annoncé d’emblée.
On l’enrobera donc d’une salve de petites phrases construites à dessein pour établir un contexte où chaque innuendo orientera subtilement (ou pas) vers la décision finale : le racisme ne doit pas être discuté. Du tout.
Et c’est donc parti pour une « réalité inquiétante et nauséabonde » : un petit adjectif comme ça, nauséabond, c’est très pratique et ça classe ceux qui oseraient rentrer dans le débat de mal-sentants, par exemple.
Snif snif, mais, vous puez le Débat Sur l’Identité Naâââtionâââle, mon brave ! Si vous voulez continuer à passer pour un bon citoyen conscient de ses responsabilités en tant que porte-flambeau de la pââââtrie des Droidlhom et de la Liberté d’Expression et Tout Ça, il va falloir vous nettoyer la bouche au savon et oublier bien vite ce débacaca.
En réalité, toute la pétition est un véritable festival : après la réalité nauséabonde, on trouve de la conscience républicaine sous blister (encore neuf, jamais servi), du vivre ensemble par palette prête à la distribution aux grossistes, de la méchante stigmatisation en aérosols qui attaque la couche de zone politique en dessous du radar démocratique, et bien évidemment, de la haine et de la désunion qui suintent de barils mal fermés en provenance directe de ministres de la République !
La conclusion de tout cela est évidente pour l’association : il faut absolument arrêter de débattre. Il ne faut surtout pas que les gens puissent s’exprimer. Ceux qui auraient des velléités de penser différemment de ce que l’association prône n’ont pas le droit de l’ouvrir, puisque, par définition, ils ont tort et qu’ils n’émettent pas une opinion.
Et puis, tout le monde sait que faire taire les opposants quand ils disent de vilaines choses horribles, c’est le moyen le plus sûr pour que les dissensions et les avis divergents disparaissent ; c’est le moyen le plus solide pour que la société redevienne harmonieuse et tranquille. Pour que la France s’endorme sereine, il faut que tout le monde pense naturellement la même chose.
De loin, tout de même, je trouve cette position un tantinet dérangeante : on dirait une version soft d’un contrôle de la pensée et de l’opinion, une élimination par le silence du crime-pensée. Oh, bien sûr, on ne demande pas officiellement que ceux qui émettent un avis dans ces débats soient jetés en prison, ce serait trop gros, mais on intime l’ordre au gouvernement de faire cesser le débat, sur le mode « Circulez, y’a rien à dire » dans une sorte de fascisme light, c’est-à-dire Big Brother sans le CO2 (qui troue la couche d’ozone et réchauffe la planète), sans le sucre (qui fait grossir) et sans la cafféine (qui excite violemment les citoyens les uns contre les autres, dans le plus parfait mépris du vivrensemble avec des bisous) mais avec tout ce qu’il faut de contrôle social pour ostraciser les mal-pensants.
J’ai, depuis le début, trouvé ce débat idiot : termes mal posés, but à atteindre non exposé officiellement, définitions floues et pas partagées par tous… Tout l’exercice est clairement une manœuvre purement politicienne qui aura en plus eu l’inquiétant effet de stériliser les autres débats (dette, avenir industriel de la France, réformes de fond) tout en torpillant celui de l’immigration en le plaçant sous un angle qui le rend explosif à manier.
Mais après tout, si les gens veulent débattre sur des sujets mal posés avec des définitions floues, c’est leur problème. C’est en tout cas mieux que rien. Et même si les idées échangées (lorsqu’il y en a) ne volent pas haut, il ne me viendrait pas à l’idée de demander l’arrêt des conversations et des échanges au prétexte que certains sortiraient d’une ligne qui n’est définie, en somme, que par une clique agaçante qui s’auto-proclame Juste et Bonne alors que tout, dans son comportement, indique qu’elle n’est qu’un avatar de plus des petits censeurs et autres Pères La Vertu de la famille des Faites Ce Que Je Dis Et Pas Ce Que Je Fais.
Encore une fois s’illustre à merveille le problème fondamental de la politique française : elle ne souffre pas du tout de trop de débats nauséabonds, de polémiques sur des sujets qui fâchent. Non.
À cause des associations d’empêcheurs de penser de travers comme SOS Racisme, CRAN, HALDE, MRAP et autres bricolages plus ou moins institutionnalisés dans lesquels on trouve aussi une quantité grouillante de syndicats festifs, on a abouti à cette situation de blocage total où chaque sujet profond est totalement tabou. La politique française souffre précisément de l’absence de débat, d’un consensus mou et gluant qui est si épais, d’une mélasse moralinée si lourde et collante qu’il devient impossible de (se) débattre, d’exprimer autre chose que de grands soupirs fatigués et une flasque résignation.
Et tant qu’il y aura des tristes clowns pour réclamer qu’on fasse taire un opposant politique au prétexte que sa pensée n’est pas comme il faut, la politique ne vaudra pas le papier sur laquelle elle s’écrira.