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Sefronia le 30/08/2000.

Publié le 22 décembre 2009 par Minisym

Cette chronique fut rédigée par François Branchon pour Séfronia (site de Chroniques musicales) le 30 août 2000.

Sefronia le 30/08/2000.
Imaginez l’abbé Pierre coiffé d’un casque de viking, tapant sur des percussions et vendant des bouquins de poèmes à un coin de rue ! Une scène pas inhabituelle pour Moondog le new-yorkais né Louis Hardin en 1916. Une histoire hors-normes : son père, évangéliste défroqué, tient un relais poste perdu en plein Wyoming. Louis est élevé par des trappeurs, va à l’école à cheval, pêche et chasse, tape sur des boites à chaussures en guise de batterie et fréquente les indiens du coin. Fasciné, lui le petit blanc, par leurs percussions, il se voit offrir par leur chef Yellow Calf, le pupitre du tom-tom en peau de buffle lors des cérémonies ! Une “consécration” qui fige son destin – ce sera la batterie ! – qu’il part étudier à la Hurley High School en 1929, à 13 ans. Il les finira en braille (il perd la vue l’année suivante par l’explosion d’une grenade).

En 1943, il s’installe à New-York, fréquente Bernstein, Rodzinski et l’allumé Toscanini dont il baisait la main (!). En souvenir du chien de Yellow Calf qui hurlait les nuits de pleine lune, il prend en 1947 le nom de Moondog et ne cesse dès lors de composer, une musique vite rangée dans l’avant-garde, en raison de ses figures rythmiques répétitives (le récurrent tom-tom indien !!) et du son minimaliste. Ses rencontres qui suivent avec Charlie Parker et Benny Goodman colorent ses oeuvres d’inflexions jazz. Il y ajoute des couplets chantés ou parlés (souvent philosophiques) et des sons empruntés à l’environnement, naturel comme urbain. A cette époque seulement (1956), il se décide à enregistrer sa musique.

Cette réédition est celle de son premier album. Beaucoup de ce que l’on appelle aujourd’hui la “musique du monde” est présente dans cette oeuvre où l’on retrouve deux constantes : les percussions tribales (le fameux tom-tom !!) et les duos de violon, omniprésents, installant toutes les ambiances musicales, via des trames répétitives et enjouées, le plus souvent aux tonalités japonaises (influence de sa femme Suzuko). Les morceaux sont généralement courts et défilent comme autant de “paysages” : “Tree trail” mêle un quatuor à cordes et une volière en effervescence. “Frog bog” : le quatuor à cordes verse dans le répétitif oriental avec les coassements d’une grenouille en contrepoint rythmique des percussions tribales. Sur le beau à pleurer (et heureusement long de 7 minutes) “Surf session”, c’est le bruit du ressac qui colore la pièce. “Street scene” mixe les percussions, les bruits de rue de Manhattan, le sifflet d’un flic et un dialogue entre Moondog et sa femme Suzuko. La gravité de “Death when you come to me” vient des percussions, incantatoires et mystiques, mais le chant oriental qui les survole est joyeux…

Moondog rompt parfois avec ce schéma et se retrouve seul devant son piano (un “To a sea horse” pas très loin d’Erik Satie) ou fait quelques incursions dans l’expérimental, mais du genre ludique, jamais chiant, comme sa propre voix enregistrée deux fois sur “Trees against the sky” et montée en superposition (à l’image du “Good-bye and hello” de Tim Buckley ou “The murder mystery” du Velvet Underground).

Le génie de Moondog est de mélanger joyeusement les genres et d’inventer des complémentarités, 50 ans avant que le marketing ne s’en empare (les violons de Bach en visite à Cuba, les bruits du trafic à Manhattan, la sagesse d’un philosophe oriental, la batterie inspirée des rythmes tribaux indiens…). Mais surtout, cette musique est “visuelle”, et sans tomber dans le cliché de l’aveugle qui reconstitue le monde par les sons, elle est “l’image” du monde dans lequel Moondog vit et peut-être que grâce à lui, on peut le voir sous une forme plus parfaite.

François Branchon


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