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Par Toréador | décembre 21, 2009
Les débailloneurs
Cette fin d’année est symptomatique d’un essoufflement national. Et encore, essoufflement, je suis aimable. Effondrement moral, pourrissement politique, médiocrité publique seraient des termes plus adéquats et plus annonciateurs. Et je ne parle pas seulement du sarkozysme, qui est au phénomène ce que l’écume est à la mer. Non je pointe un système pernicieux d’auto-dénigrement et d’auto-destruction.
La première crise, c’est celle du débat démocratique. Est-il encore permis de s’exprimer en France ? J’en doute. Cherchez donc où est la liberté d’expression. Sur les blogs peut-être, parce que nous sommes trop petits et pas assez visibles. Mais dans la grande arène, les mass-medias vous pilonnent dès qu’ils estiment que votre pensée est « dangereuse ».
Un individu dangereux, autrefois, c’était quelqu’un qui voulait suspendre la démocratie. Aujourd’hui, c’est quelqu’un qui utilise des mots ou des concepts interdits. Nadine Morano pense qu’un musulman qui parle verlan ne s’intègre pas ? C’est raciste. Ce n’est que le énième rebondissement d’une suite de mises au pilori, de pseudo-scandales qui ont frappé un peu la gauche et surtout la droite. On mélange tout dans le plus grand délire.
L’actualité n’est plus parasitée, mais saturée, par le « buzz« . La médiocre polémique de la petite semaine a chassé le débat de fond. Vous voulez savoir pourquoi ? Parce que chacun pense en gains relatifs, que les partis politiques grouillent de petits égos qui pensent que la communication est l’axe principal et qu’on se grandit en coupant la tête de l’adversaire. Moralité : tout le monde en sort rapetissé.
Alors : fuck the buzz !
La dictature du consensus « opinionnel »
Comment réfléchir sereinement alors que Big Brother vous tabasse dès que vous sortez de la langue de bois ? D’ailleurs, il n’y a qu’à regarder toutes ces bonnes âmes assises sur le couvercle d’une marmite qui s’échauffe et qui supplient Sarkozy de clôre le débat sur l’identité nationale. Il y a dans le lot beaucoup d’adversaires hypocrites de Sarkozy qui pensent qu’il y a un coup à faire pour affaiblir l’être haï et qui se drapent dans des beaux idéaux pour gagner quelques points dans les sondages. Et sinon, il y a toute une pelotée de girouettes qui seraient capables de dire le contraire si le Maître le leur ordonnait.
Raison officielle : Parait-il qu’il y aurait des dérapages. Et bien justement, ça sert à ça un débat : à voir ce qui fait problème, à écouter ce que les gens ont à dire, à toucher du doigt la merde du terrain, à la goûter, et enfin à changer le discours. Les cinq sens doivent être mobilisés. Alors de grâce : dérapons !
De toutes manières, pourquoi débattre ? Pour faire avancer la démocratie ? Si vous avez le malheur de glisser le mauvais bulletin de vote dans l’urne, vous serez pareillement mis au banc d’une société hypocrite. Qu’il s’agisse des minarets ou du traité de Lisbonne, on baillonne et on espère que cela rendra le peuple muet. Son seul mode d’expression « autorisé », c’est le sondage.
De Gaulle réorientait par référendum ; Sarkozy a modernisé la méthode avec Opinion Way. Qu’on troque un système où chacun pèse 1 voix et puisse s’exprimer pour un système opaque basé sur la « représentativité » et qui échappe à tout mode de contrôle, cela me semble effarant. Mais c’est notre monde.
Pays d’autistes
Du coup, il ne faut pas s’étonner, dans une telle glissade démocratique, qu’on ne sache plus échanger. N’y a-t-il que moi, dans ce bas-monde, qui trouve infâme qu’une poignée de salariés prenne en otage Noël pour faire avancer leurs avantages catégoriels ? Les routiers ont bien compris qu’en menaçant les fêtes, ils auraient gain de cause. Et puis, cela a été le tour des convoyeurs de fonds. Et puis les syndicats des transports.
La grève du RER A – 15 jours – qui a-t-elle touché d’après vous, messieurs-dames des syndicats ? Les ministres ? Non, le petit employé qui a grelotté dans le froid. Le blocus des routiers ? le commerçant du centre-ville. Le boycott des convoyeurs ? Là encore le petit commerçant. Mais ce qu’il y a de bien, avec les médiocrates, c’est que ceux-là, ils ne sont jamais interviewés les jours de grève. On trouve toujours un benêt compatissant ou au pire un saint-bernard fataliste.
Au moins, il y a 14 ans, ces syndicalistes y croyaient encore, au progrès. Ils habillaient leurs intérêts égoïstes de couleurs vives et de grands principes fédérateurs – comme la défense du service public. Aujourd’hui, le roi est nu : on réclame de l’argent. Point barre. Et en face, on attend que l’Etat (c’est à dire le contribuable) fasse la pute pour financer la passe. Les fils de Maurice Thorez sont devenus des mime Marceau.
Ce n’est pas en ruinant ce pays qu’on le redressera. Mais cela supposerait que les Français apprennent à se reparler, à débattre, bref qu’on sorte de la Sainte Inquisition médiatique et du chantage social.