Quand avez-vous pleuré de rire pour la dernière fois ? Quand avez-vous sauté dans une flaque, rigolé devant la mouche qui pète, fantasmé devant un gâteau à la crème sans psychoter sur les calories ? Quand avez-vous eu envie de tirer les couettes de votre collègue qui se la pète, de tirer la langue à votre boss ? Depuis quand vous sentez-vous un peu serré dans votre habit d’adulte ?
A force d’avoir entendu trop de « grandis un peu que diable ! » et autres « comporte toi en adulte un petit peu s’il te plait », j’ai l’impression fugace que certains ont renié leur âme de môme, leurs joies de gamins. Oh, bien sur la nostalgie de l’enfance reste très en vogue. Les puristes cherchent leur madeleine dans Proust, les contemporains descendent des litres de bière et dissèquent le bonheur de leurs siestes comme on analyse ses névroses chez le psy. Mais quelle rigueur dans la recherche du temps perdu. Quel manque de fantaisie dans la gaminerie… Même Peter Pan est devenu une star des thérapies, dépossédé de sa magie, analysé, décortiqué… soigné.
Parfois, en croisant les messieurs Costard qui indexent leur rire sur les cours du CAC 40, les madames Loyale qui se détendent exclusivement quand le rideau se baisse, je me demande vraiment si on est bien tous égaux devant la régression. Parfois quand je croise les regards des autres posés sur nos délires, je me dis que je n’envie pas leur « maturité ». Je me dis en regardant leurs sourires qui n’illuminent pas leurs yeux, leur loisirs formatés, leurs lectures rationnelles, leur rire pondéré en toute occasion, que ce n’est pas ça être adulte. Et entre nous si j’ai tort, si c’est ça, j’en veux pas.
Si c’est ça, ne me demandez pas d’être raisonnable, sage comme une image. Ne me demandez pas d’être un exemple, ni de rentrer dans le moule. Je veux bien être une femme. Je veux bien être mère, je veux bien être une pro, et même un homme parfois. Je veux bien (et comment !) être une maitresse, une amante, une amie. Je veux bien assumer l’âge de mes artères (comme si j’avais le choix) mais laisser moi libre de rester une enfant. Parce que moi, j’ai dix ans. Je sais que c’est pas vrai mais j’ai dix ans…
Et pas besoin de pousser trop loin pour retrouver les reflexes immatures, pour glousser devant les productions Disney, pour pleurer devant E.T. , pour rêver, pour inventer des mots qui ne font rire que moi et font hurler l’ensemble des Académiciens, pour prendre des choses insignifiantes avec le sérieux d’une gamine, et aborder la vraie vie avec l’insouciance des bacs à sable. Moi j’ai dix ans et j’aime ces allers-retours dans l’enfance, cette immersion permanente dans le paradoxe.
J’assume d’être une grande qui a laissé un orteil dans l’enfance. Je revendique le plaisir de faire la quiche dans les magasins essayer n’importe quoi, jouer la star et faire des concours de grimace devant l’appareil photo. J’adore me shooter aux bombecs jusqu’à frôler la crise de foie, faire des chorégraphies de Mia Frye avec les cops et hurler de rire, me salir en chahutant dans l’herbe sans penser à la dose de détachant spécial qu’il faudra engloutir pour rectifier le tir. Et je prends même du bon temps à jouer à la grande quand je signe des papiers, quand je paye mon loyer, à faire comme maman quand je fais mon ménage, quand je peste sur mon repassage…
Le temps n’est pas mon ennemi. Qu’il se voit sur mon visage ou non qu’importe ? Tôt ou tard, je serai une mamie, une vieille pomme acide toute ridée, toute marquée, mais malicieuse comme avant. Et je prendrai soin de rappeler à mon fils les joies d’avoir une âme d’enfant.