La place des femmes dans la politique française stagne depuis quelques années. Plus encore, les fragiles progrès effectués depuis quelques années sont-ils menacés ? La parité constitue t-elle une solution? Si oui, ne faut-il pas mieux en définir les enjeux?
Une histoire récente
C’est en 1992, avec la publication du livre Au pouvoir citoyennes : liberté, égalité, parité de Françoise Gaspard, Claude Servan-Schreiber et Anne Le Gall, qu’une nouvelle notion, la parité, fait son apparition dans le champ politique. Les trois auteurs réclament que la parité, c’est à dire l’égalité de représentation entre hommes et femmes dans les instances politiques et administratives, soit inscrite dans la loi. Cette ambition reçoit le soutien des instances européennes, qui sont en avance sur la France sur ce sujet. Puis, en novembre 1992, à la demande de la Commissions des communautés européennes, est organisé à Athènes le premier sommet européen, « Femmes au pouvoir ». Il réunit les femmes ministres et anciennes ministres et adopte une charte énonçant que « la démocratie impose la parité dans la représentation et l’administration des nations ».
En France, l’élan se poursuit, et en 1994, la classe politique de gauche demande l’inscription de la parité dans la Constitution. Lors des élections européennes de 1994, les listes des partis de gauche sont quasiment toutes paritaires, sur le mode dit « chabada » alternant un homme, une femme, et ainsi de suite. Puis, le 18 octobre 1995, Jacques Chirac crée par décret (n° 95-1114) l’Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes, placé auprès du Premier ministre.
De l’égalité à la « parité »
Après la dissolution de l’Assemblée nationale et la victoire de la gauche plurielle, le nouveau Premier ministre Lionel Jospin tient ses engagements de campagne et, le 17 juin 1998, fait signer à Jacques Chirac le projet de loi constitutionnelle relatif à « l’égalité entre les hommes et les femmes ». Après plus d’un an de discussions le texte est finalement adopté en Congrès, par 741 voix contre 42, bien au-delà de la majorité des trois cinquièmes (470 voix). Cette loi du 7 juillet 1999 introduit à l’article 3 de la Constitution une nouvelle exigence : « La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives. » L’article 4 fait reposer la responsabilité de sa mise en œuvre sur les partis politiques. La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 déplace la phrase vers l’article 1er de la Constitution, et la complète en étendant l’exigence d’égalité « aux responsabilités professionnelles et sociales ».
Enfin, c’est la loi n°2000-493 promulguée le 6 janvier 2000, qui prévoit la parité alternée pour les élections européennes, régionales et sénatoriales à la proportionnelle, et à la parité par tranche de six pour les élections à deux tours, comme les municipales. Pour les élections législatives les partis doivent présenter 48% de candidates ; dans le cas contraire, ils s’exposent à des sanctions financières.
Il est toutefois utile de retenir que ces différentes modifications ne sont, pour aucune d’entre elles, aussi claires et générales que la mention effectuée à l’alinéa 3 du préambule de la Constitution de 1946, dont la valeur constitutionnelle demeure assurée par la référence de la Constitution de 1958. C’est donc depuis 1946 que, en théorie du moins, « la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme. » Les débats sur la parité ont-ils pour autant permis des progrès, par rapport aux principes édictés il y a plus de soixante ans ?
Plus de textes, toujours aussi peu de femmes
Cette multiplication des débats sur la parité, et des textes censés la mettre en œuvre, ont bien fait entrer des femmes en politique. Pourtant, en observant le pourcentage de femmes élues lors des élections qui ont suivi ces réformes, on constate qu’elles sont encore peu nombreuses à assurer des responsabilités électives. En effet, en 2005, on recense 12% de femmes députées, 11% de sénatrices ou encore 10% de maires. On compte 47,6% de femmes conseillères régionales, une seule présidente de région.
Au fond, qu’est ce que la parité ? Cette notion tant rebattue appelle une précision lexicale. Elle ne désigne pas autre chose que le passage du principe constitutionnel et fondamental d’égalité, à une forme d’égalitarisme. La parité consiste donc, simplement, à organiser le corps social et le corps politique, et d’une manière générale la société, sur la base d’une représentation fixe et égale entre les deux sexes, entre l’homme et la femme, quelles que soient leurs conditions de fortune ou leurs origines.
Geneviève Fraisse, historienne et philosophe française, s’interroge dans un article sur le mot parité. Pour elle, « la parité un mot bon à tout faire ». Elle en montre les limites. et le définit comme « l’égal mélange, et la mixité en est évidemment une image approximative ». Alors que la parité est censée constituer une traduction pratique de l’égalité, il n’en est rien. D’une part parce qu’il ne s’agit pas un concept explicite, et d’autre part parce qu’il réduit le principe d’égalité à une application très schématique. Aussi, l’application est défectueuse : les lois ne s’intéressent qu’aux candidats présentés, et non à ceux qui sont élus. Dans les scrutins de listes, les femmes sont bien rarement têtes de listes, et plus l’exposition médiatique est faible, moins leur part est importante : près d’un tiers des têtes de listes étaient des femmes aux élections européennes de 2009, contre 15% aux élections municipales de 2008, selon les chiffres établis par l’Observatoire de la parité.Ces statistiques apparaissent d’autant plus faibles que les voisins européens de la France ont fait une place plus importante aux femmes en politique. En Belgique, la loi interdit que plus des deux tiers des candidats, quelle que soit l’élection, soient du même sexe. Cette loi est générale et égalitaire car elle ne désigne pas un public particulier. Elle ne discrimine pas positivement les femmes. Ensuite, en Allemagne, les partis depuis 1988 ont décidé de faire plus de places aux femmes, sans que cela nécessite l’adoption de mesures contraignantes. En effet le SPD réserve 40% des candidatures aux femmes. Chez les Verts, les places impaires sur les listes sont réservées aux femmes. Le CDU/CSU, dont la modification statutaire, plus récente, date de 1996, attribue 30% des candidatures à des femmes. Angela Merkel, qui assume depuis 2005 le poste de chancelier fédéral, incarne ce changement, mais celui-ci est également visible au Bundestag où un tiers des sièges sont occupés par des femmes. Un tel exemple montre que la fixation de quotas n’est pas le seul recours, et que la coercition n’est pas forcément la plus efficace. Au contraire, la parité française résume l’enjeu au respect d’obligations arithmétiques, quand ce sont les mentalités qu’il importe de faire évoluer.
L’élection des conseillers territoriaux : une menace pour la parité en France
Le 23 octobre 2009 dans un communiqué de presse, l’Observatoire pour la parité entre hommes et femmes livrait ses inquiétudes concernant le projet de loi relatif à l’élection des conseillers territoriaux. Ce dernier entraînerait de façon prévisible un recul de la place des femmes élues. C’est le chapitre II, précisant les modes de scrutin, qui est particulièrement remis en cause, car il prévoit un suffrage mixte. En effet, 80% des conseillers territoriaux seront élus au scrutin majoritaire uninominal à un tour. Et, pour les 20% restants, il s’agirait d’une répartition à la proportionnelle aux suffrages émis dans les cantons.
Dans le cadre d’un scrutin uninominal, un siège est à pourvoir par circonscription, et le candidat qui a obtenu le plus grand nombre de suffrages est élu. Le problème étant, comme il l’est dit dans les rapports d’études d’impact de l’Observatoire, que, pour les scrutins uninominaux, sans mesures contraignantes, les partis politiques en écartent les femmes. L’Observatoire rappelle également « que les assemblées concernées par le scrutin uninominal présentent des résultats déplorables en matière de parité. » Pour preuve, les élections cantonales de 2008 ont permis l’élection de 87,7% d’hommes pour 12,3% de femmes. Enfin, l’Observatoire considère, sur la base d’une projection femmes-hommes aux élections territoriales de 2014, prenant en compte les proportions de femmes et d’hommes élus dans les conseils régionaux et généraux, que les 80% de sièges pourvus au scrutin uninominal permettraient l’élection de 9,8% de femmes élues pour 70,2% d’hommes. Dans le même temps, les 20% soumis au scrutin de liste permettraient l’élection de 9,5% de femmes pour 10,5% d’hommes. En somme, ce projet qui conduirait mathématiquement à réduire la part des femmes élues, peut se révéler anticonstitutionnel au regard de l’article 1er de la Constitution.
À bien considérer l’utilité d’un scrutin uninominal pour assumer des responsabilités au sein des conseils généraux et régionaux, une question mérite alors d’être posée. Ces élus n’ayant aucunement vocation à représenter une circonscription comme les élus municipaux, on peut s'interroger sur la nature de leur rôle.