The Visitor (2007), de Tom McCarthy, raconte l’histoire d’un universitaire guindé, dont une vie studieuse a sérieusement érodé la joie de vivre. Ce personnage est incarné par Richard Jenkins, dont le mérite est de n’avoir strictement rien besoin defaire pour signifier l’allure rigide, la mine fermée et la peau travaillée par le labeur de bibliothèque. Cet universitaire, donc, voit sa vie changée quand il se retrouve en cohabitation forcée avec un couple de colored people : Zainab est sénégalaise, Tarek est syrien. Tout ça jusqu’au jour où, pour une sombre histoire de tourniquet de métro mal négocié, Tarek est menacé d’expulsion.
Tous les ingrédients sont là pour un gentil mix entre le film concerné sur l’immigration et celui du genre « quand un vieux bougon réapprend à vivre ». Et il y a de ça effectivement : l’universitaire, bien sûr, est vite déridé – il se rend compte que les séances de tam-tam, comparées aux colloques universitaires, c’est quand même sympa – et nos deux illégaux, bien sûr, sont des personnes remarquables et remarquablement intégrées. Aufond, cette vision enchantée pourrait tenir, seulement il y a quelque chose de gênant dans cette mise en scène trop calme, trop sérieuse, trop didactique pour être vraie. Si ce film ne gardait pas ma sympathie je dirais même qu’il y a quelque hypocrisie, jusque dans la forme, à présenter en drame social l’histoire d’une amitié – ou alors l’inverse : à résumer dans une relation de personnes tous les enjeux de l’immigration. Bref, la faiblesse de ce film réside dans la tiédeur d’une mise en scène qui ne fait ni complètement du mélodrame, ni complètement du réalisme social, ni complètement les deux.
Pourtant, cela même qui est agaçant fait aussi, en un autre sens, la force du film de Tom McCarthy. Quand Walter, notre universitaire, va visiter Tarek, il entre par une porte coulissante dans un sasse, et c’est sous le regard d’une caméra de surveillance qu’il voit la première porte se fermer, avant qu’enfin l’autre ne s’ouvre. Cette situation intermédiaire, cet interminable seuil, telle pourrait être la représentation de l’Amérique, dans ce film, en même temps que celle du cinéma. Peut-être justement que Tom McCarthy a bien dit les choses, a exprimé une saine mélancolie, en filmant sobrement une histoire hollywoodienne (ou le contraire là encore), comme pour faire apparaître un rêve perpétuellement tenu à distance. C’est le même voyage qu’a l’habitude de faire le couple, qui connaît New-York de l’intérieur mais prend le large à l’occasion pour en considérer l’extérieur. Et, dans The Visitor, cette situation désigne bien l’ambiguïté d’un cinéma qui n’est qu’une projection, une précarité : un endroit dont on sait qu’on va devoir partir.