On connaît bien les arguments des opposants de tous poils, acharnés à disqualifier les divers débats et chantiers ouverts par le gouvernement :
1. le thème, disent-ils, en est fantasmatique.
C’était la position de la gauche jospinienne à propos de la sécurité. Une petite élite germanopratine remontrait au bon peuple que l’insécurité était un « sentiment », autant dire un fantasme obscène, vaguement préfasciste. Or le peuple n’aime pas les hobereaux hautains qui prennent le thé sur le chemin de ronde pendant que les jacques se font zigouiller hors les murs. Jospin n’a pas atteint le second tour.
2. le thème, disent-ils, est légitime mais le débat est mal posé.
C’est la position constante du parti socialiste sur à peu près tous les sujets depuis 2002. Le dernier avatar en date est le projet de réforme des collectivités locales. On y retrouve le sempiternel « certes…mais » des exercices d’école, ou l’« Evidemment mais pas comme ça » des attrape-nigauds. En panne d’idées neuves, minés de prudence, effarés de se faire chiper le « progressisme », les rose tendre pondent leurs œufs dans les modalités : c’est la pauvre marge qui leur reste. Je ne suis pas sûr qu’on leur saura gré de cette tiédeur au moment de faire les comptes. 3. le thème, disent-ils, est incontournable mais c’est un débat hors de saison.
On connaît le refrain : « Il y tant d’autres priorités ! Vous croyez que les Français n’ont pas de plus grave motif d’inquiétude en ce moment ? » On nous l’a chanté sur tous les tons à propos de la suppression de la pub sur les chaînes publiques. C’était impensable : c’est fait et nul ne s’en plaint. Ou bien l’on s’indigne : « Tel débat est trop grave pour être lancé en période électorale ! » Oui, mais problème : avec en France, et tant mieux, une élection tous les deux ans, dites, c’est quand qu’on en cause, de ce thème incontournable ? Et d’ailleurs qu’est-ce qu’une élection, sinon l’occasion d’interpeller un peuple sur des questions graves ? 4. le thème, disent-ils, est à la fois fantasmatique, mal posé, et hors de saison.
Là, chacun devine qu’on a en tête le débat sur l’identité nationale. « Fantasmatique », parce qu’on ferait toute une hystérie d’une évidence ; « mal posé » parce qu’on lierait ce thème à celui de l’immigration ; « hors de saison » parce qu’on l’instrumentaliserait à des fins électorales. Voilà en gros les arguments avancés pour stigmatiser la réflexion collective sur ce grand sujet.
a. La question de l’identité nationale serait inopportune, « hors saison » : je renvoie à ma réfutation finale du 3.
b. Elle serait « fantasmatique » comme tout ce qui ne relève pas des conditions de travail et du pouvoir d’achat. Pourtant l’homme ne vit pas que de pain…
c. Elle serait « mal posée », pervertie par l’arrière-pensée de l’immigration. Cet argument est ridicule. L’immigration est naturellement un aspect important de l’identité nationale. Assez de finasseries : une nation, c’est un peuple, et un peuple est la somme des éléments qui le composent. L’ « identité », c’est le plus petit dénominateur commun de ces composantes. Que faire quand l’une ou l’autre de ces composantes refuse tel ou tel élément du pacte minimum vital ? Voilà, parmi d’autres, une des questions auxquelles devrait répondre le débat. Il n’y a aucun scandale à poser nettement sur le devant les questions qui se chuchotent dans la coulisse, nulle arrière-pensée maligne à exprimer l’inquiétude des gens de bonne foi et de bon sens.
Remettre au pas de la loi républicaine les Français ou étrangers qui insultent les symboles de l’identité que sont l’hymne et le drapeau ; exiger sur notre sol la pratique de notre langue ; imposer aux religions la discrétion qui assure à chacun la liberté de conscience ; réprimer sans état d’âme ceux qui au nom de leur religion, ou de la coutume du pays d’origine, tiennent les femmes dans une sujétion dégradante voire mutilante : tout cela n’est pas un choix de l’Etat républicain, c’est son devoir. Elisabeth Badinder, grande conscience française de gauche, prône en ce moment, contre l’avis des timorés, une loi pour interdire le port du voile intégral. On nous dit que la burqa est le fait minoritaire d’une sorte de secte extrémiste de l’islam. Très bien. Alors, que les musulmans modérés de France fassent savoir haut et fort leur condamnation de cet extrémisme insupportable ? Il y va de leur propre intérêt. On ne les entend guère. Ont-ils peur ?
Attention, c’est solide et fragile, un peuple. Ce n’est pas en niant les conflits qu’on les évite. Ce n’est pas en chipotant sur l’opportunité et les modalités d’un débat nécessaire, en faisant la fine bouche, en pointant le doigt de la honte sur de vraies inquiétudes populaires, qu’on évitera le rejet. Il y a sur le corps français des greffes incompatibles
Arion