J'en avais deja parle au tout debut de mon aventure japonaise, sur mon ancien blog, lorsque j'avais commence a m'attaquer aux demarches administratives de ma nouvelle vie. Notamment pour ouvrir un compte bancaire, je me rappelle les refus categoriques sous pretexte que je ne possede pas de 印鑑 (inkan), de sceau.
Les sceaux tiennent lieu ici de signature, on en a donc besoin en permanence mais si vous etes etranger vous n'en possedez bien sur pas. Pour les taches les plus simples ils vous laissent signer a votre facon et gloussent ou ecarquillent des yeux en voyant le gribouilli. Qu'une signature soit reconnaissable, unique et difficilement falsifiable parait totalement inimaginable ici. En fin de compte ils preferrent souvent faire ecrire le nom tout simplement, qu'ils n'arriveront pas non plus a lire mais au moins ca ressemble plus a quelque chose qu'ils connaissent ou croivent connaitre. Pour des taches un peu plus importantes, c'est bien embetant mais comme il n'y a pas le choix ils font pareil, en grommelant. Et puis quand ca devient vraiment serieux, ils vous montrent la porte de sortie tout de suite...
Bon, ca fait 4 ans passes que je suis la, et j'ai pu jusqu'ici m'en sortir et vivre 'normalement' sans sceau. Ce n'est donc pas mission impossible, pour peu que vous ayez une tendre moitie qui remplissent les documents a son nom a votre place, ou que vous trouviez des endroits un peu plus ouverts d'esprit, comme la Shinsei Ginko, banque ou une signature fait tres bien l'affaire. Mais ca reste toujours boiteux, et donc au bout d'un moment ca lasse. Et puis il se trouvait que j'avais besoin d'ouvrir un nouveau compte dans une banque qui elle ne m'aurait pas fait de cadeau. J'ai donc decide de me faire faire mon sceau !
Premiere etape, se refaire un nom. Car demander a un Japonais qui maitrise moyennent l'alphabet d'ecrire Baillehache Pascal dans un rond de 1cm de diametre ... c'est un peu vache. J'ai deja explique ici l'origine de la version japonaise de mon nom : bayashi. J'avais aussi dit que ca s'ecrit 林 et que ca signifie bois, petite foret. C'etait donc tout trouve a priori, seulement Junko trouve ca trop simple. Tant qu'a grave un truc dans le marbre autant en profiter pour reflechir a quelque chose d'un peu plus serieux. Du coup la voila qui emprunte des bouquins a la biblio sur la fabrication de nom par les futurs parents. Ce sont de vrais encyclopedies ! Pour les noms, on pioche librement et allegrement jusque dans les racines chinoises des kanji. Ca vous donne tout d'abord une plethore de symboles, et encore plus de lectures possibles. Ensuite il existe des regles savantes pour calculer l'augure du nom en fonction du nombre de traits et de leurs groupements et de leur ordre d'ecriture et de l'annee zodiacale. C'est un tel casse tete que les parents qui veulent faire ca dans les formes embauchent un professionnel !
Nous on a fait ca beaucoup plus simplement bien sur. On voulait juste que la lecture respecte 'bayashi'. Moi j'ai decouvert alors quelque chose qui m'a enormement amuse : il existe une paire de kanji dans la signification et la prononciation sont les memes que mon nom ! C'est incroyable ca :-) Il s'agit des kanjis 剱士 (pour les connaisseurs le premier kanji est une forme alternative de 剣 tombee en desuetude mais autorisee pour l'ecriture de nom) et qui peut se lire bayashi et signifie guerrier a la hache/epee (la version 剣 se lit tsurugi mais la version 剱 a la lecture haya). Baillehache signifie donner un coup de hache et designait probablement un bucheron, un bourreau ou un guerrier arme d'une hache. On aurait pu en rester la, mais tout ca sonnait un peu trop violent pour un pacifiste comme moi, alors passe l'amusement de la coincidence ca ne me plaisait pas trop.
Junko de son cote avait trouve quelque chose de tres bien : 芭野志. 芭 se lit 'ba' et represente un homme couche sous les feuilles d'un arbre (explication en japonais ici). C'est surtout le ba de bashou (芭蕉), nom du tres celebre poete japonais connu pour ses poemes minimalistes, alors bien sur ca pete de l'avoir dans son nom (meme si bashou ca veut dire bananier et que le kanji de ba ca fait un peu faineant !! :-) ). Dernier detail amusant, vous savez peut etre que chaque (peut etre pas tous) pays etrangers s'est vu attribue un kanji pour le designer, de meme que les capitales, et la partie inferieure 巴 est justement le kanji designant Paris. Ensuite le kanji 野 se lit 'ya' et signifie la plaine, la campagne. Kanji tres beau par son lien avec la nature, par son utilisation dans le nom du Mont Koya (高野山) l'un des endroits les plus saints du Japon, par son image de liberte et d'aventure en tant qu'espace s'etendant a perte de vue. Enfin le kanji 志 se lit et signifie la volonte, le desir. Pour ce qui est du sens de l'assemblage des trois kanjis je vous laisse imaginer, mais je vous en donne juste un : allonge sous un arbre dans une prairie sauvage et revant d'aventures par dela l'horyzon ...
Bon maintenant qu'on a le nom, il faut maintenant le materialiser. Les supports ne manquent : pierre, bois, bambou, plastique, ... Vous etes libres. Pour ma part, c'etait decide d'avance : il y a un petit artisan dans la rue Teramachi derriere la mairie (pas de site web a ma connaissance) qui fabrique toutes sortes d'objets avec du bambou. Entre autres des sceaux en gravant les kanjis dans une pousse de bambou coupee au niveau d'un noeud. Le cote fait main et la forme du noeud rendent le sceau unique. La veine de la branche sert de repere pour apposer son sceau bien droit, et la presence d'un second noeud donne au tout une forme tres agreable a tenir. C'est un vrai petit bijou !
Derniere etape, l'enregistrement a la mairie d'arrondissement. C'est la que ca a commence a devenir drole ! J'avais lu dans mon guide des demarches administratives que pour relier le sceau a vous meme il faut l'enregistrer. Il devient alors un 実印 (jitsuin), sceau officiel. Je me rend donc a ma mairie d'arrondissement, trouve le bureau qui s'occupe de ca (a chaque fois que j'y vais c'est toujours 3e etage bureau 8, je vais finir par me demander a quoi servent les autres ! :-) ), et je dis a la petite dame que je veux faire enregistrer un sceau. Pas de probleme, elle me fait remplir un formulaire sur lequel j'appose mon sceau et me demande d'attendre. Puis une autre petite dame vient me voir avec un epais bouquin. "Ah excusez moi mais il y a un petit probleme". Bien sur sinon ca aurait ete trop facile. "Votre sceau est vraiment magnifique mais je ne peux pas l'accepter." Le graveur m'avait pourtant bien precise que les sceaux qu'il fabrique sont valides pour enregistrement. "Vous ne pouvez pas choisir ces kanjis la" "Ah bon, on les a pourtant choisi dans un livre indiquant les kanjis possibles pour les noms" "Je suis desole, c'est pas possible" "Bon ok, quels kanjis je peux utiliser alors" "En fait vous ne pouvez pas utiliser de kanji" "Vous voulez dire que je ne peux pas fabriquer de sceau ?" "Si, par exemple si vous ecrivez bayashi en katakana" Me voila qui replonge dans le monde de l'irrationnel, au secours, vite une issue de secours ! "Mais comment ca se fait que c'est autorise en katakana et pas en kanji" "C'est parce que vous ne pouvez pas prouver que ces kanjis sont bien votre nom. Ca pourrait etre ceux d'une autre personne." "Et les katakana par contre je peux prouver que c'est mon nom ? Il n'y a personne d'autre que moi avec la meme suite de katakana pour nom ? Et les familles differentes de meme nom ? (au passage je lisais recemment que le Japon est le pays ou il y a le moins de patronymes au monde, autrement 'tout le monde s'appelle pareil')" La elle commence a avoir l'air embete. "Et les Japonais comment ils prouvent que leur nom c'est bien leur nom ??" Panique entre les deux neurones du petit fonctionnaire lambda, procedure d'urgence, elle abaisse un doigt sur son gros bouquin tel Dieu montrant un verset de la Bible. "Je suis desole c'est ecrit ici" Et elle me montre que effectivement il est stipule qu'un etranger ne peux enregistrer un sceau qu'en katakana. Inutile de lutter plus longtemps je commence a ranger mes affaires. "Ah c'est vraiment dommage, un si beau sceau" qu'elle me dit "enfin c'est pas non plus que vous ne pouvez pas l'enregistrer ..." "Pardon ???" "C'est a dire que ... peut etre ... dans d'autres endroits ... il est possible que ca ne soit pas interdit ... par exemple a Osaka" La j'ai ete tres mal poli, je lui ai eclatee de rire au nez, sorry. Ce qui est valide ou non pour un sceau officiel semble etre defini par arrete prefectoral. Passez dans la prefecture voisine et le sceau invalide devient valide ... ! Probleme, je ne peux le faire enregistrer que la ou j'habite, il faudrait donc que je demenage. J'abandonne donc pour l'instant et rentre chez moi.
Le soir je raconte tout ca a Junko. Elle commence par me tuer en disant "ah bah oui on peut pas prouver", mais bon j'ai l'habitude de la logique japonaise incompatible avec mon cerveau. Et puis, "De toute facon tu sais c'est pas trop la peine de l'enregistrer, tu peux l'utiliser comme ca. Moi je les ai jamais enregistres..." "Mais alors n'importe qui peu 'signer' n'importe quoi en ton nom et on ne peut rien verifier" "Oui mais c'est pas grave parce que c'est pour les choses peu importantes. Si c'est important comme une operation sur un compte bancaire il faut utiliser le meme sceau que lorsqu'on a ouvert le compte et avoir a la fois le sceau et le document d'ouverture du compte avec l'apposition du sceau. C'est comme s'ils faisaient chacun leur enregistrement au lieu de se referer a la mairie. Du coup on peux utiliser plein de sceaux differents. On y est meme oblige puisque la validite de certains sceaux s'arrete a la frontiere de la prefecture. Mais bon vu qu'ils acceptent meme des sceaux de hyakuen shop (sceaux en plastique fabriques a la chaine) c'est pas dur de tricher, il suffit d'avoir le document d'ouverture du compte. Il y a eu un scandale il y a pas longtemps comme ca. Une grand mere s'est fait vider son compte par une jeune qui lui avait vole ce document. L'employee de banque n'y a vu que du feu."
Du coup j'ai ouvert mon nouveau compte en banque avec mon sceau non enregistre. Ca s'est passe merveilleusement bien, l'employee a eu l'air tellement soulage quand elle a vu que j'avais un sceau, qui plus est un permis de conduire japonais, qui fait ici office de piece d'identite... Reste que tout ca me semble une fois de plus bien tordu. Certe quand on veux tricher on peux tricher, meme une signature est loin d'etre infaillible (j'en connais qui etait tres doue pour faire celle de leurs parents sur les mots d'absence au college ..). Mais multiplier a foison la facon d'identifier un individu, via un moyen aisement reproductible car totalement statique, et sans reel moyen de recoupement de l'information (je me rappelle comment je m'etais fait disputer au Canada parce que j'avais oublie de signer ma carte de credit de la bas, valant pour signature de reference), ca me parait quand meme tres moyen ... Quand a prouver que mon nom ecrit en kanji n'est pas le mien quand ecrit en katakana il l'est, j'attend que quelqu'un m'explique ...