Dans les années 1930, mon grand'père Ernest Desthuilliers, menuisier-charpentier de son état, avait compris que la meilleure manière, tant au plan technologique qu'économique, de réaliser sans erreurs et dans de bons délais la charpente d'une meulière [1] consistait :
-non à s'installer en haut des murs avec des madriers et des bastaings, des scies et des tarières, des chevilles et des maillets,
-mais à tracer et découper les éléments de la charpente à proximité de ses machines, puis de la monter à blanc sur l'aire du chantier d'assemblage, avant d'en livrer les élements, entraits, fiches et autres arbalétriers sur site pour les remonter dans l'ordre requis.
Les opérations d'étude et de production relevaient-elles alors d'une certaine forme de télétravail, puisque réalisées à domicile dans la perpective d'un service final rendu à distance ?
Aujourd'hui, lorsque je communique par téléphone et par internet avec les auteurs publiés dans JOINTURE, et avec les divers contributeurs fournisseurs de textes, puis que sont composés, par allers et retours et de manière dirte contributive, un sommaire et des fichiers sources transmis en pièces jointes aux ordres donnés au metteur en page, lequel à son tour transfère sur le site de l'imprimeur les fichiers à éditer tel qu'il les a élaborés, sommes-nous bien dans une situation de télétravail (ou plutôt, pour certains, de télébénévolat ) ?
Externalisation contractuelle (c'est à dire en fait forcée, les contrats de travail usuels étant fortement empreints de léonitude [2] ) dans une perspective de réduction des coûts, ou promotion du travail collaboratif sur des projets partagés, dans une perspective de meilleure qualité d'un service ?
Si le travail s'oppose au repos, pour reprendre une dichotomie traditionnellement admise, alors il est peut-être possible de mieux cerner ce qu'est le télétravail et le situant par rapport :
-au télénontravail, ici désigné un peu sommairement par télérepos, mais qui pourrait aussi être le télétempslibre, le télésommeil, la télérêverie, etc.
-au nontélétravail, qui ne sautrait être assimilé au travail d'avant la création du mot télétravail, résultat d'une dérivation préfixiale qui a suivi avec retard l'émergence de ce mode d'organisation
-et même pour remplir le carré de Caroll [3] le nontélénontravail....
Au (télé)travail !
[1] Tel est le nom donné sur les affiches des agences immobilières aux pavillons de banlieue, souvent construits sur sous-sol demi-enterré, dont l'appareil est en pierre meulière.
[2] Bof...Bravitude m'a donné l'occasion de quelques divagations sur la rime en tude.
[3] Voir Jean Gattegno et Ernest Coumet, Logique sans peine, éditions Hermann, 1966