Femme de chambre. C'est le métier qu'exerce Linda, surnommée Lynn. C'est encore ce qu'elle sait faire de mieux pour échapper à sa vie. Ou plutôt, à la vie qu'elle ne parvient pas à mener. A part fumer ses cigarettes, louer des DVD qu'elle ne regarde ni n'entend, Lynn récure. Elle récure pour effacer les traces qui parfois sont invisibles à l'oeil nu. Ce sont des traces qui d'ordinaire ne gêneraient personne non, rien de dégoûtant, mais ces traces doivent être effacées pour son bien être, déjà si fragile.
Ce qui est pratique dans le métier de femme de chambre, quand on a pas de vie particulière, c'est qu'on peut imaginer celle des autres. Mais bientôt, imaginer la vie des autres autour du paquet de cigarettes, de la montre, de la brosse à dent ou de la crème solaire, cela ne suffit plus. Lynn veut savoir. Elle qui loue des DVD sans les voir ni les écouter, va se poster chaque mardi sous le lit des clients de l'hôtel où elle travaille : ainsi, elle entend un peu de leur vie, s'y faufile sans être vue, et sent peu à peu qu'il se passe quelque chose.
Cette entreprise, qui deviendra rapidement une habitude hebdomadaire comme le coup de fil à la mère, la visite chez le psy, l'amène peu à peu vers une autre vie : la même, mais pas tout à fait vide. Enfin il se passe quelque chose mais Lynn ne parvient pas à définir cet événement qui l'emmène pourtant vers un absurde quotidient...
Femme de chambre, c'est l'histoire d'une femme qui ne sait pas vivre, prisonnière qu'elle est d'une inconscience qui lui rappelle sans cesse les mots de sa mère : « bonne route », les seuls qu'elle ne comprend pas et ne veut pas entendre, et qui finissent par l'écarter de son chemin de femme. « Bonne route », c'est sur ces mots que sa mère la quitte, à chaque coup de téléphone. C'est aussi le début d'une histoire avec Chiara, libre et mystérieuse, putain respectueuse qu'elle ne parviendra à posséder, même en se dépossédant. Femme de chambre, c'est aussi ce paradoxe qui habite celle qui pourchasse la saleté et l'exigu et sitôt fait replonge dans ses propres sentiers de perdition.
C'est l'histoire, écrite avec une grande finesse, d'une femme qui ne peut se libérer ni vivre. Markus Orths semble tirer profit, dans ce premier roman, de ses études de philosophie, de littératures française et anglaise, et de l'héritage allemand. Vivement l'adaptation au cinéma.
Traduit de l'allemand par Nicole Casanova, éd. Liana Levi, 104 p., 14 €.
Léthée Hurtebise pour le Magazine des Livres
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