Je viens de refermer « Journées de lectures » de Roger Nimier. En fait, je le referme un jour sur quatre, c’est un de mes livres de chevet depuis trois mois. Je lis une de ses chroniques, et chaque fois je referme ce recueil en me disant « Je vais arrêter de le lire, ce type a un meilleur style que le mien : il me donne des complexes ».
Nous avons un point commun, Roger Nimier et moi, c’est que nous avons publié cinq livres en cinq ans. On lui reproche d’écrire trop vite : il décide alors de ne rien publier pendant dix ans « Je jure de ne plus publier de romans avant dix ans – si la terre et Nimier durent dix ans. « . Et il tient sa promesse, le cher homme. Il la tient tellement qu’il meurt juste avant la sortie de son D’Artagnan amoureux, près de dix ans plus tard. Le modèle s’arrête là : je continue à écrire, hé, je n’ai pas envie de mourir si vite.
Mais le modèle demeure : le style de Roger Nimier m’enchante, y compris quand il parle du style des autres dans « Journées de lecture ».
Pourquoi ai-je aimé ce livre ? Parce qu’on y trouve un esprit cultivé, original, curieux de tout, désinvolte, mordant. On croit qu’il égratigne, alors qu’il va au fond des choses. Le style accompagne la pensée. Il n’est pas de ces auteurs qui changent de pensée s’ils peuvent en exprimer une autre avec plus de grâce ou d’insolence (moi, par exemple). Il parle de tous les auteurs de son époque après les avoir vraiment lus – c’est dire son anti-conformisme ! Et il nous conduit, en quelques phrases, à la quintessence de leur oeuvre.
Sur Simenon « Le sentiment le plus positif de cet univers en grisaille, c’est la tendresse ou encore la pitié. Par là autant que par son goût des détails familiers (des détails « réchauffants », Simenon est un romancier russe, tel qu’on les voyait au XIXe siècle. Les âmes mortes parcourent le monde à la dérive, leur héroïsme est d’un instant, leur passion s’essouffle vite. En fait, il est beaucoup plus désespéré que les existentialistes, qui sont gonflés de bonnes résolutions et d’idées morales » Après un paragraphe pareil, je n’oserai plus jamais rien écrire sur Simenon.
Sur Céline : « En somme, il est de la famille des grands orateurs sacrés, des prophètes, des poètes épiques. Il utilise une période oratoire rompue, une meute d’exclamations qui ne se trompent pas de gibier. »
Sur Gide : « Gide, c’est le Français moderne, pénétré de son importance, transportant cinquante kilos de culture occidentale soius ses semelles à chaque pas qu’il fait, fervent comme une institutrice anglaise et d’ailleurs bon écrivain, comme l’était Frédéric II ». Oh ce « l’était Frédéric II ».
Pas de chronique sur Albert Camus, on ne saura jamais pourquoi. Une chronique sur Sartre étonnamment recentrée sur « Le Diable et le Bon Dieu », il a pourtant très bien lu le reste. Et tant d’autres : André Breton, Malraux, Jean Genet, Valéry Larbaud, Julien Green, je continue ?
- comment trouvait-il le temps de lire, de si bien lire tous ces auteurs pour écrire ces études ? Hé, c’est qu’il les a lus à l’époque où il a cessé d’écrire des romans. Finalement, j’ai plus de mérite que lui : moi, je tiens un blog.
- quand on s’attarde sur la liste des quarante auteurs étudiés, uniquement des auteurs français, on se dit que Roger Nimier a eu de la chance : c’était un demi-siècle où il y avait au moins quarante auteurs dont on pouvait dire quelque chose. Oui, il a eu de la chance de mourir si jeune : le pauvre, je l’imagine tenter de pondre une étude sur Houellebecq, Christine Angot, Bernard-Henri Lévy, Guillaume Musso. Et moi.
La voiture en visuel, c’est une Aston-Martin, comme celle dans laquelle s’est tué Roger Nimier en 1962.