Note de lecture : À l'apprentissage de la vie, par Claude Paquet.

Par Jean-Michel Mathonière

Claude Paquet : À l'apprentissage de la vie. Préface de Gérard Larcher.
Yvelinédition, 1 place Charles de Gaulle 78180 Montigny-le-Bretonneux. 2006. 296 pages. 20 €

Il n’existe pas encore de Mémoires de compagnon pâtissier. Je n’en connais pas non plus de pâtissier non-compagnon, à l’exception de celui-ci. Qu’est-ce qui les différencie, du reste, au-delà du tour de France et de la vie compagnonnique ? Les uns et les autres pratiquent le même métier et parfois se côtoient chez les mêmes patrons. Leur contexte professionnel est le même. Ils peuvent devenir des artisans très qualifiés l’un comme l’autre. C’est pourquoi je signale cette autobiographie, d’autant plus que sa diffusion est restreinte et qu’on ne la verra pas souvent à la devanture des librairies, à côté du dernier prix Goncourt, bien plus « marchand ». Et pourtant, ce livre sans prétention se lit avec bonheur et il a valeur documentaire. Puisse donc cet article donner l’envie de savourer ce livre au style agréable et à l’abondante illustration photographique.

Suite:

Claude Paquet est un pâtissier qui a réussi, mais dont la vie de travail n’a pas toujours été aussi rose que ses créations succulentes. Né en 1936 à Paris d’un père pâtissier et d’une mère vendeuse, le jeune garçon avait le métier dans le sang puisque ses grands-parents du côté maternel étaient boulangers. A 14 ans, en 1950, il entre en apprentissage pour trois ans chez son père, qui s’était établi à Rambouillet. Il confie : « Je fis un apprentissage très rigoureux, car mon père ne laissait rien passer. » Il explique avec sincérité : « Donc, au bout de ces trois années bien pénibles à tous points de vue, je décide de quitter mes parents pour commencer une autre vie. J’ai seize ans et demi. […] Je n’ai guère connu l’adolescence, car, de l’enfance, je suis presque passé à l’état d’adulte. » C’était encore en ce temps-là (il y a un demi-siècle), la fonction de l’apprentissage et même du compagnonnage, que Nicolas Adell-Gombert a bien analysé dans « Du passage par le rite aux rites de passage » (Fragments d’histoire du compagnonnage n° 10).

Claude Paquet trouve une place à Coulommiers, pour deux mois, puis à Versailles (3 semaines), puis à Chaville (2 mois), à Paris (15 jours), au Vésinet (8 mois), alternant les bonnes et mauvaises maisons, apprenant ici de nouvelles recettes et la mauvaise humeur des patrons. Quand il entre chez Drouant, un trois étoiles parisien, il enrichit considérablement son savoir. Le voici ensuite dans la grande pâtisserie de la Gare du nord mais il doit accomplir son service militaire. Libéré après 31 mois en Algérie, en 1959, il entre au Lido comme glacier et sera encore embauché dans plusieurs autres maisons (il aura travaillé dans une bonne douzaine de pâtisseries et restaurateurs à sa sortie d’apprentissage : un tour de France en région parisienne, en quelque sorte !). En 1968, il décide avec son épouse de s’établir à son compte à Rambouillet en reprenant la pâtisserie du Château, celle de ses parents. Il la développera, la modernisera, fera connaître sa spécialité (le « Rambolitain ») et recevra des distinctions professionnelles et civiques, dont l’Ordre national du Mérite. Depuis, son fils a repris l’affaire.

Cette autobiographie se lit avec plaisir. Claude Paquet y insère des recettes, l’historique de certaines pâtisseries, des anecdotes, des réflexions sur lui-même, son métier, les hommes, l’orientation des jeunes. Tout y est empreint d’humanité, d’humilité mais aussi de légitime fierté.

Voici un extrait de sa vision du maître d’apprentissage (p. 139-140) :

« Etre maître d’apprentissage demande beaucoup de soi-même, comme un enseignant, mais dans un autre domaine. Il faut de l’altruisme, de la générosité, car le jeune qui arrive et qui veut épouser cette profession ne se doute pas des efforts que son Maître d’apprentissage doit faire pour lui inoculer sa passion ainsi que la rigueur de son devenir dans ce métier.
Tout d’abord, il faut un respect mutuel l’un envers l’autre, c’est très important. Ensuite, exiger l’hygiène corporelle, dont le lavage des mains et le brossage des ongles taillés courts, les cheveux propres et toujours bien plaqués, en plus de la toque. Enfin, le respect des matières premières, ne pas gâcher la marchandise ; déjà, lui faire reconnaître les meilleurs produits.

« L’apprentissage commence par lui inculquer les tours de main ; ne jamais laisser un débutant à la dérive dans un laboratoire ; éventuellement l’aider dans ses calculs pour ses premières pesées.

« Et puis, lui donner le goût du travail bien fait ; lui transmettre une formation pour le préparer au monde du travail ; l’aider doucement à accélérer ses gestes et à en prendre conscience. Lorsqu’il maîtrise une fabrication, si toutefois il aime le dessin, l’initier à la décoration ou à l’écriture sur petits et gros gâteaux ; lui donner confiance en soi, lui expliquer le sens des valeurs, lui faire comprendre la notion de conscience professionnelle qui ne doit jamais le quitter durant toute sa vie.

« J’oublie l’essentiel, lui faire goûter toutes les matières nobles en lui expliquant d’où viennent ces produits et, éventuellement, leur fraîcheur. Et puis, enfin, l’inciter à déguster des échantillons de gâteaux lorsqu’ils sont assemblés.

« Croyez-moi, c’est un beau métier : la créativité, le côté artistique et beaucoup d’horizons à découvrir. Et il peut y avoir extension : glacier, confiseur, traiteur, pains de luxe, cuisinier, barman ou chef de rang. Notre formation est telle qu’éventuellement un pâtissier peut accéder assez facilement à tous ces métiers. Après quinze ans de formation, nous pouvons être aussi capés qu’un ingénieur, salaire égal. »

L'homme pense parce qu'il a une main. Anaxagore (500-428 av. J.-C.)