Après avoir, la semaine dernière, traversé le Pont Charles, nous voici donc arrivés, vous et moi, ami lecteur, dans ce quartier ouest de Prague, Mala Strana, le "Petit côté", sur la rive gauche de la Vltava, en contrebas de la résidence royale et de la cathédrale Saint-Guy perchées sur la colline de Hradcany que je vous proposerai de découvrir dans le courant du mois de janvier.
Dès le XIIème siècle, déjà, des marchands inévitablement attirés par la cour décident de s'installer à la périphérie du château ; de nombreux colons allemands les suivent peu après. Le pont Judith autorisant un passage moins précaire que l'ancien pont de bois qu'il vient judicieusement remplacer permettra un trafic commercial reliant ainsi de manière plus aisée la vieille ville de Staré Mesto à Mala Strana proprement dit.
Malheureusement, ce quartier en pleine expansion fera régulièrement l'objet d'incessants coups du sort : dans le premier tiers du XVème siècle, il est ravagé par les combats qui opposent les hussites, partisans du réformateur Jan Hus aux troupes royales : il est loin l'âge d'or du règne de Charles IV, l'empereur du Saint Empire romain germanique !
Les habitants se ressaisissent néanmoins et rénovent leur quartier. Malheureusement, en 1541, un incendie le détruit à nouveau. Reconstruction oblige : les anciens édifices gothiques font alors place à des bâtiments de style "Renaissance".
Le plus exceptionnel d'entre eux, un des chefs-d'oeuvre de l'architecture tchèque de cette époque, édifié entre 1555 et 1576 dans le plus pur style florentin, le mieux conservé aussi, devenu depuis peu Musée national de l'Art baroque de Bohême, est sans conteste le Palais Schwarzenberg, sur les hauteurs de Mala Strana, proche du château royal.
Vous remarquerez, ami lecteur, qu'il présente la particularité d'avoir ses murs de façade
mais aussi ceux de la cour intérieure
décorés de sgraffites noirs et blancs de type nord-italien et vénitien datant, quant à eux, de 1567,
semblant répéter ad nauseam des bossages en pointes de diamants.
En réalité, il s'agit d'un remarquable effet d'optique, d'un immense trompe-l'oeil fruit d'une décoration obtenue par application d'un enduit de couleur claire sur un fond de stuc sombre que l'on gratte ensuite (sgraffia = gratter, en italien) afin d'obtenir le dessin recherché.
Bluffé, j'ai évidemment passé la main sur l'un d'entre eux pour constater - déçu ? - que le mur était bien parfaitement plat.
Si la technique du sgraffite - ou sgraffito (des sgraffiti, au pluriel) - fut un procédé artistique fort en vogue à la "Renaissance", il faut savoir qu'il fut remis au goût du jour au début du siècle dernier par les maîtres de l' "Art nouveau". De sorte que les exemples que j'ai pu dénicher dans mes pérégrinations pragoises - je prendrai d'ailleurs peut-être un jour le temps de vous en présenter quelques-uns -, n'ont nullement occulté ceux qui m'ont toujours émerveillé sur les façades de beaux et nombreux édifices bruxellois ; voire même liégeois, comme je viens de le découvrir tout récemment sur le bien intéressant blog d'une compatriote.
Merci à Véronique pour la célérité avec laquelle elle m'a transmis l'autorisation d'importer l'exemple récemment rénové ci-dessous, vaguement égyptisant de surcroît !, qu'elle a "déniché" quai van Beneden, à Liège.
Après cette petite digression en terres belges, revenons, voulez-vous, à Mala Strana.
En 1620, nouveau coup dur : la bataille de la "Montagne blanche" ravage elle aussi le quartier. Nécessité donc, au sortir du conflit, de réaménager à la mode du temps, c'est-à-dire baroque.
Cette fois, enfin, c'est la bonne : le "Petit côté" reprend vie, retrouve un essor perdu qui entraîne la construction de nombreux palais par quelques grandes familles nobles qui viennent s'installer à proximité ou en contrebas du château.
Certains d'entre eux, comme ci-dessus déjà, ont de nos jours été dévolus aux services d'ambassades étrangères : ainsi, le palais Buquoy, du nom d'une famille wallonne qui acheta le bâtiment en 1748 (Charles Bonaventure de Longueval, comte de Buquoy, fut le commandant en chef des troupes impériales durant la bataille de la "Montagne blanche") et dont les descendants le revendirent à la France qui en fit son ambassade à partir de 1919.
Mais le plus prestigieux, peut-être, fut celui qu'Albrecht de Wallenstein, noble tchèque, commandant en chef des armées de Ferdinand II de Habsbourg durant la Guerre de Trente Ans,
se fit construire dans un style évidemment baroque entre 1623 et 1630 : encadrant de superbes jardins, l'ensemble mesure 340 mètres de long et 172 de large.
Derrière cette façade, la Tchéquie a décidé en 1992 d'abriter son Sénat.
C'est par la visite des jardins intérieurs que je vous propose de terminer aujourd'hui, ami lecteur, notre première déambulation dans Mala Strana.
Vous noterez, sur le cliché ci-dessus, à l'arrière-plan de cette partie du palais Wallenstein, l'extrême fin des bâtiments du domaine royal, sur la colline de Hradcany, avec la tristement célèbre tour Daliborka, ou plutôt le donjon carcéral, qui doit son nom à son tout premier prisonnier, Dalibor de Kozojedy, dont la légende fut notamment chantée dans un opéra éponyme qu'écrivit Smetana.
Promenons-nous à présent dans les jardins pour, notamment, admirer un resplendissant décor d'art topiaire que mettent encore plus en valeur les sculptures en bronze d'un style tout à fait maniériste, puisque nous nous trouvons alors à la charnière entre la Renaissance et le Baroque, d'Adrian de Vries (1556-1626), sculpteur originaire des Pays-Bas et ayant à l'époque ses entrées à la cour (pragoise) de l'empereur Rodolphe II de Habsbourg.
Pour rendre à César ce qui appartient à César ou, plutôt, à Wallenstein ce qui lui est dû, je me dois d'attirer votre attention sur le fait que toutes ces sculptures sont en réalité des copies d'une remarquable fidélité ; et la cause n'en est nullement ici les conditions climatiques qui obligèrent la municipalité à mettre à l'abri, vous vous en souvenez, les statues baroques du pont Charles que nous avons traversé samedi dernier !
Il faut en effet savoir que la ville se vit spoliée du Laocoon, du Bacchus, du Neptune et de maints autres Apollons par la soldatesque suédoise qui, en se retirant à la fin de la Guerre de Trente Ans (1648), emporta sans scrupule aucun toutes les oeuvres de de Vries. Elles agrémentent depuis le parc du château Drottningholm, à Stockholm.
A Prague, aujourd'hui, nous devrons donc nous satisfaire des ersatz :
Ce jardin, ces sculptures semblent en réalité constituer une sorte d'indispensable haie d'honneur à ceux qui, dans la perspective de l'allée centrale, se dirigent tout naturellement vers la construction ouverte par trois monumentales arcades : la Sala Terrana, sorte d'espace de transition entre l'intérieur du palais, actuellement le Sénat, et l'extérieur, les jardins.
Sala Terrana, espace ouvert sur les jardins où guirlandes de fleurs et de fruits, anges porteurs et autres arabesques en stuc encadrent de manière grandiloquente des scènes mythologiques peintes à fresque sur les murs
mais aussi à même l'impressionnante voûte, le tout célébrant à l'envi la gloire et les vertus guerrières du comte de Wallenstein ...
C'est là, dans ce décor aux antipodes de mes propres goûts esthétiques, que je prends congé de vous, ami lecteur, non sans préalablement vous donner rendez-vous en janvier prochain et, surtout, sans vous avoir souhaité d'excellentes fêtes de fin d'année agrémentant ce congé scolaire bienvenu.
Pour ceux qui, parmi vous, désirent me retrouver au Louvre, je fixe d'ores et déjà notre prochaine rencontre au mardi 5 janvier 2010 ; et au samedi 9 si vous entendez ici poursuivre la visite de Mala Strana ...