Salvador Dali disait ceci : " La différence entre un fou et moi, c'est que je sais que je suis fou." Cet homme qui m'a longtemps fasciné exprime ce que je ressens. Je ne suis pas fou car je tiens mon rang dans la vie ordinaire. Le rang de la raison commune. Je conduis prudemment ma voiture, je paie mes factures et mes impôts dans les délais impartis, je bois modérément du vin et je ne sillonne pas tout nu les rues de mon quartier. Je suis un homme normal, le plus souvent à la bonne distance de la joie et du désespoir. Et pourtant je suis fou. Je suis fou parce que je pense. Toute pensée engendre sa part maudite de folie. Kierkegaard, Schopenhauer et Nietzsche, pour ne citer qu'eux, furent acculés à la folie par le fait même d'agencer leur pensée. (Crises de désespoir, repli sur soi, incapacité à rencontrer l'autre, morbidité, douleurs du corps, [de redoutables migraines pouvaient couper du monde Nietzsche pendant plusieurs semaines.], tentation du suicide...) Je dois donc me déprendre de ma pensée. Mais comment se déprendre d'une pensée dont on ne s'est pas d'abord épris ? Comment le mouvement du soi peut-il s'accommoder au mieux du mouvement des concepts ? Et si le chaos était une nécessité préalable à toute pensée ? Voilà où je me trouve alors que je renoue avec vous le contact. Finalement, ce serait peut-être sagesse que d'aller me promener à poil dans ma rue ! Mais il fait froid n'est-ce pas ! Et quelques flocons gris mouillent un peu le bitume. Je pourrais tomber. Mon visage porterait à tout jamais les stigmates de ma folie douce et je me croirais le Christ ressuscité par Marie-Madeleine. Allons donc ! Je vais plutôt déposer ma tête sur mon bureau et m'étonner d'être là, avec des yeux troués de lumière.