Frôler la mort.

Publié le 18 décembre 2009 par Wilverge


Varanasi, Inde.

C'est en prenant une bonne pof de mort qu'on se dit que l'endroit est spécial. Un « buzz » unique et perpétuel, à rien n'y comprendre. Une ville bâtie sur une légende vieille comme la mort, toujours dans l'enlignement parfait au bord de « la mère ».
C'est fucké.
Pour les hindous, mourir n'est ni un synonyme de tristesse, ni une tragédie. Mourir est se libérer de l'état actuel pour passer à un état meilleur. Ce n'est qu'une étape dans le cycle de la réincarnation. Mais il existe un moyen de passer direct au meilleur état de tous: c'est la Libération. C'est la clé, le mot de passe, pour éviter de se retaper une autre vie.
Le ghat Mani Karnika est le site le plus sacré de l'Inde à cet effet. Y être incinéré (la crémation libère l'âme des morts) signifie pour le défunt la fin du cycle, et donc, l'accès direct au Nirvana.
Mais, il y a des règles, car sinon, le Nirvana serait surpeuplé et un endroit surpeuplé, ce n'est vraiment pas le paradis.
Alors, ce n'est pas tout le monde qui peut accéder à l'incinération. Ceux qui n'ont pas le droit sont :
- Les gens qui ne sont pas décédés d'une mort naturellement normale (e.g. maladie, accident, etc.)
- Les enfants de moins de dix ans
- Les femmes enceintes
- Les défuntes victimes d'une morsure de cobra
- Les lépreux
- Les pauvres qui ne peuvent se la payer
Et j'en passe.
Leur mort ne peut être que le fruit d'un mauvais karma alors la crémation leur est refusée. Ces derniers rejoindront directement les eaux du fleuve, en les laissant flotter dans le courant ou en les lestant pour qu'ils coulent en position du Lotus.

Ghats de crémation.

Pour ceux qui ont le droit à la crémation, ça fonctionne à peu près ainsi :
Le mort est emballé dans un linceul de couleur et souvent transporté dans un brancard de bambou jusqu'à la rive. Les femmes se retirent, car leurs larmes pourraient nuire à la Libération. Avant de déposer le corps sur le bûcher (200 kilos de bois empilé stratégiquement), on trempe à maintes reprises le cadavre dans les eaux sacrées et on lui verse de l'eau dans la bouche.
Une fois le corps sur le bûcher, on continue le rituel, et on allume.
Les parents masculins du défunt sont autour du feu, sans émotion, et attendent. Le tissu qui emballait le corps brûle en premier ce qui dévoile le cadavre en question. On voit les pieds rouges qui gonflent à cause de la chaleur et la tête calciner.
De temps en temps, les « doms » font leur travail. Ce sont les préposés aux feux. Ils sont un peu comme le gars de la gang qui était dans les scouts dans sa jeunesse et qui taponne toujours le feu de camp. Sauf qu'eux, ils veillent à ce que l'incinération se passe bien et à rassembler les morceaux de mort au milieu du bûcher à mesure qu'ils se détachent. Munis d'une grande perche, ils brassent le cadavre et se doivent de briser le crâne pour faciliter l'élévation de l'esprit.
Lorsque le feu est fini, les restes sont déposés dans le fleuve. On fait le dernier geste d'Adieu, et un autre corps arrive.
Un spectacle un peu troublant.
Mais, beau, lorsqu'on n'a pas de la boucane de morts dans les yeux.
Le long du fleuve, à l'amont ou à l'aval des sites de crémations, la vie continue. Les gens se lavent, font la lessive (draps d'hôtel, entre autres) et la vaisselle. Les enfants jouent dans l'eau. On y voit des gens pêcher et d'autres faire des cérémonies et des rituels quotidiens.
Lavage et prières.
En plein rituel
Il s'apprête à se rincer la bouche.
Un spectacle encore plus troublant!
Ok, je comprends que c'est un fleuve sacré. Mais se laver là-dedans, c'est comme prendre un bain de bactéries. C'est comme boire du jus de cadavre. C'est comme « frencher » un lépreux. C'est comme lécher les boutons d'ascenseur d'hôpital. C'est comme se laver les dents avec un étron. C'est comme boire son flux!
Bon OK, j'arrête.
-Will.