Sa déclaration a suscité bien des réactions. Éric « The King » nous en dit un peu plus sur ce qu’il pense d’un débat sur « l’identité nationale ». Lui qui publie au profit de la Fondation Abbé-Pierre un recueil d’images fortes sur les exclus de la société, « Elle, lui et les autres », parle aussi « des vrais problèmes : misère, exclusion, droit au logement…
On vous connaissait acteur, peintre, ancienne star du football et joueur de beach soccer, mais pas photographe. Comment vous est venue cette passion pour la photo ?
ÉRIC CANTONA : J’ai commencé il y a quelques années, par des photos très abstraites. Des détails de la réalité, saisis de façon rapprochée. Puis j’ai travaillé, en noir et blanc cette fois, sur des images de corrida. Et, l’an passé, la Fondation Abbé-Pierre m’a proposé de photographier des exclus du logement. J’ai accepté tout de suite, sans hésiter. Quand je fais une photo, je cherche à ressentir en la regardant le sentiment que j’ai éprouvé en la prenant. Je veux être dans l’émotion. Et aussi, très égoïstement, me sentir en vie.
Pourquoi vous êtes vous engagé aux côtés de la Fondation Abbé-Pierre ?
É.C. J’en suis l’un des parrains depuis quatre ans. On a commencé à travailler ensemble en organisant des tournois de beach soccer. Maintenant, il y a ce livre. J’ai eu de la chance dans ma vie grâce, sans doute un peu à mon travail, de réaliser mes rêves, de faire ce que je voulais, de gagner de l’argent. Mais je n’oublie pas d’où je viens. Et mon éducation m’a enseigné le respect et l’amour des gens.
Vous avez eu l’occasion de rencontrer l’abbé Pierre ?
É.C. Non, malheureusement. Une rencontre était prévue, quand j’ai décidé de m’engager aux côtés de la Fondation. Mais il était déjà hospitalisé. Il est décédé peu de temps après. Je n’aurai jamais sa présence et son impact médiatiques. Mais je veux me battre.
Qu’avez-vous découvert en photographiant des exclus, des sans-abri, des mal-logés ?
É.C. Je n’ai rien découvert. Ce que j’ai vu pour prendre ces photos, je le connaissais. Cette misère et cette exclusion sont dans la rue, tous les jours, sous nos yeux. Quand on veut bien regarder le monde qui nous entoure, on voit tout cela, au quotidien. Je suis là, comme certains autres, pour dire aux gens de ne pas s’habituer à cela. Leur dire qu’ils n’ont pas le droit de regarder cette misère sans la voir. Je suis là pour leur demander de se battre contre eux-mêmes, contre la facilité qui consiste à trouver cela normal et ne plus y faire attention.
Vous lancez un cri, un signal d’alarme ?
É.C. Un cri, oui. Il est inacceptable de voir, dans un pays comme la France, des gens ne pas avoir un toit pour dormir, un endroit à eux. Aujourd’hui, quand on a un problème, on nous dit d’écrire. Et puis on oublie. On en arrive à trouver des excuses et des justifications à tout. Mais moi, je ne veux pas baisser les bras et m’habituer. On nous bourre le crâne. Alors, on zappe. Et on en arrive à ne même plus faire attention au type qui dort et urine dans la rue. Et qui, un jour, mourra dans la rue, devant des gens qui trouveront ça normal. Je ne veux pas m’ériger en donneur de leçons. Mais j’ai le devoir et l’envie de dire les choses.
Vous dites n’avoir jamais cessé d’ouvrir les yeux sur le monde qui vous entoure. Vous le faisiez même quand vous étiez un footballeur adulé et starifié ?
É.C. Bien sûr. Pourquoi pas ? J’étais footballeur, je gagnais beaucoup d’argent, mais je n’étais pas en quarantaine. Je suis toujours descendu dans la rue. J’ai toujours gardé les yeux grands ouverts.
Les footballeurs semblent pourtant parfois déconnectés des réalités de la vie quotidienne…
É.C. Non, je ne crois pas. Le football reste un sport populaire, pratiqué par des joueurs venus pour la plupart de milieux peu aisés, voire difficiles. Ils n’oublient pas d’où ils viennent. On peut gagner beaucoup d’argent mais continuer à transmettre des valeurs de respect et de bonheur. Et puis, le foot est à sa façon en avance sur la société. Les premières vagues d’immigration, les fils d’Espagnols, d’Algériens, de Portugais, on s’est tous serré les coudes et embrassés sur les terrains de football.
Le foot vous a aidé à aller vers les gens ?
É.C. Mon éducation m’y a aidé. Et j’ai continué pendant ma carrière professionnelle. Jouer au football était un rêve. J’y ai rencontré des gens formidables, mais aussi des gens pas formidables du tout. Et j’ai toujours fonctionné de la même façon, en respectant ceux qui me respectaient. Quand un hooligan m’insulte en plein match (en janvier 1995, Éric Cantona frappe d’un coup de pied circulaire un spectateur de Crystal Palace qui l’avait insulté après une expulsion, NDLR), je ne me sens pas au-dessus de lui ou de ses propos. Je réagis, même si sauter sur un type dans une tribune n’est pas forcément la meilleure réaction. Je l’ai fait parce que je suis ainsi. Et peu importait qu’il y ait, braquées sur moi, trois milliards de télévisions du monde entier.
Que pensez-vous du débat actuel sur l’identité nationale ?
É.C. Les élections arrivent, les hommes politiques n’ont pas grand-chose à dire. Alors, ils font diversion en inventant ce débat. Je trouve ça léger, pas très profond. Et sans grand intérêt. Pendant ce temps, on ne parle pas des vrais problèmes, la misère, l’exclusion, le droit au logement… Entrer dans ce débat, c’est donner raison à ceux qui l’ont inventé.
Être français, c’est quoi pour vous ?
É.C. Pour moi, chanter « la Marseillaise » et lire la lettre de Guy Môquet, ce n’est pas être français, c’est être con. Être français, c’est rester combatif et révolutionnaire. Nous devons réveiller nos vieux démons. Ça ne peut pas finir comme ça. S’il faut y aller, je suis là. Qui m’aime me suive.
« Être Français, c’est rester révolutionnaire. S’il faut y aller, je suis là. »