Pendant longtemps, Chris Carter a été une personne publique. Le créateur de The X-Files, MillenniuM et Harsh Realm représentait ses séries. Et puis ça s'est atténué. Et puis Chris Carter a disparu. Du temps passé à faire du surf. Du temps passé sur des projets qui n'ont pas abouti, d'autres qui n'ont pas encore abouti. D'autres non-commerciaux et donc pas particulièrement destinés à être dans la lumière. Comme Carter l'a décidé pour lui-même. Il a goûté à la lumière. Il a choisi l'ombre.
Quand il a fallu faire la tournée des talk-shows pour promouvoir The Lone Gunmen, spin-off de X-Files reposant sur des acteurs dont la notoriété ne dépassait pas la niche des fans de la série, c'est lui-même qui s'en chargea. Même s'il n'était quasi pas impliqué dans cette série. C'était, de loin, la personne la plus connue du grand public dans l'équipe de The Lone Gunmen... L'anecdote dit beaucoup de la place qu'a occupé Carter dans les années 90. Elle dit aussi beaucoup de la folie qui a entourré X-Files, du fait que la machine médiatique en parlait si souvent, si intensivement, qu'elle a eu besoin de starifier le scénariste(!) -- les acteurs n'étant plus humainement capables d'assurer seuls la tournée du cirque médiatique.
Chris Carter, au départ, a embrassé cette folie. Comme l'a formidablement écrit Séverine Barthes (Les Obsessions de Chris Carter), la colonne vertébrale de son oeuvre est un propos dysfonctionnel sur la famille, propos qui, à la fois, sous-tend la narration, mais aussi est intégré à l'oeuvre par le biais du lien qu'elle a tissé avec son public, avec la famille des fans. Fans à qui Carter balançait in-joke et devinettes dans les épisodes, et à qui il rendit plus d'un hommage (noms de fans intégrés à des listes apparaissant à l'écran, épisode dédié à un fan très actif décédé, une autre devenue personnage de la série...)
Sauf qu'avec les fans, Chris Carter, s'est retrouvé avec quelque chose qu'il n'avait pas prévu: un groupe qui possède un rapport au lien familial encore plus dysfonctionnel que le sien. Après avoir fait de Chris Carter un objet de culte -- au sens religieux du terme, oui -- le groupe, "l'entité" fan a grandi du stade de bambin en admiration à celui de l'enfant qui a besoin de tester jusqu'où il peut aller et inflige crises de nerfs, de jalousie, et déversement de violence. Chris Carter n'était, de toute évidence, pas émotionellement équipé pour y faire face. D'où son recul progressif dans l'ombre, d'où la mise en avant d'un Frank Spotnitz, devennu le porte-parole de Chris Carter. Celui qui, affectivement, était suffisamment structuré pour encaisser les coups et être l'écran filtrant.
D'où son envie d'une disparition, d'une cure de silence, son effacement après la fin de X-Files.
Toute l'oeuvre de Chris Carter peut se lire éclairée par son rapport innocent, enfantin, à l'émotion dans ses interactions avec l'autre. Ce n'est pas pour rien que le public geek s'y est retrouvé. Ce n'est pas pour rien que le même public n'a pas suivi quand le rapport de Carter à l'émotion -- et son écriture de l'émotion -- a progressivement mûri.
Même lorsque The X-Files: I Want to Believe est sorti, on a peu entendu Chris Carter. Et quand on l'a entendu, c'était dans un contexte de pure promotion qui ne laissa guère d'occasion d'approfondissement. Alors sa parole a retrouvé quelque chose de précieux.
Le blog de l'écrivain John Kenneth Muir publie une très intéressante interview de Chris Carter. Il y revient sur son oeuvre, le caractère unique de The X-Files, l'achétype du personnage masculin Carterien et son rapport à l'émotion (qui fait encore plus sens si on dit que pendant toutes ces années où Chris Carter bossait 15 heures par jour sur ses séries à Los Angeles, sa femme vivait à Santa Barbara...).
Moi qu'on a accusé de sur-interpéter I Want to Believe, dans ma longue critique dont j'assume encore chaque ligne, vous me verrez obligé de concéder que je suis content de lire Chris Carter exprimer clairement des éléments que je pointais, tel que le paralellisme volontaire entre le couple Mulder/Scully et le couple de "méchants" du film, dans leur jusqu'au boutisme amoureux.
J'ai aussi le sentiment que Carter pose le bon diagnostic à propos de l'accueil du film. Quelques critiques justifiées et un immense malentendu entre ce qu'ils avaient voulu offrir et les attentes de ceux qui l'ont reçu.
C'est la limite de l'approche éternellement ambigüe de X-Files. A force de ne pas vouloir asséner explications et liens, Carter et son équipe ont créé une série au polysémisme paroxystique. Sept ans après la fin de la série, cette polysémie absolue couplée au filtre des souvenirs fait que chacun porte aujourd'hui en lui son propre X-Files. Et cet X-Files personnel, dans bien des cas, n'entretient qu'un rapport ténu qu'avec la série qui a changé le visage de la télévision.
Oui, je pense sincèrement que même si Carter sortait un absolu chef d'oeuvre sous la bannière The X-Files, il ne peut espérer au mieux que des critiques mitigées...