Magazine Humeur

Paul VI, Gaudete in Domino - La joie au coeur des saints

Publié le 17 décembre 2009 par Walterman
Telle est, Frères et Fils bien-aimés, la joyeuse espérance puisée aux sources mêmes de la Parole de Dieu. Depuis vingt siècles, cette source de joie n'a cessé de jaillir dans l'Eglise, et spécialement au cœur des saints. Il Nous faut maintenant suggérer quelques échos de cette expérience spirituelle: elle illustre, selon la diversité des charismes et des vocations particulières, le mystère de la joie chrétienne.

Au premier rang vient la Vierge Marie, pleine de grâces, la Mère du Sauveur. Accueillante à l'annonce d'en haut, servante du Seigneur, épouse de l'Esprit-Saint, mère du Fils éternel, elle laisse éclater sa joie devant sa cousine Elisabeth qui célèbre sa foi: « Mon âme exalte le Seigneur, et mon esprit exulte de joie en Dieu mon Sauveur... Désormais, toutes les générations me diront bienheureuse ».(47) Elle a saisi, mieux que toutes les autres créatures, que Dieu fait des merveilles: son Nom est saint, il montre sa miséricorde, il élève les humbles, il est fidèle à ses promesses. Non point que le déroulement apparent de sa vie sorte de la trame ordinaire, mais elle médite les moindres signes de Dieu, les repassant dans son cœur. Non point que les souffrances lui soient épargnées: elle est debout au pied de la croix, associée éminemment au sacrifice du Serviteur innocent, mère des douleurs. Mais elle est aussi ouverte sans mesure à la joie de la Résurrection; elle est aussi élevée, corps et âme, dans la gloire du ciel. Première rachetée, immaculée dès le moment de sa conception, incomparable demeure de l'Esprit, très pur habitacle du Rédempteur des hommes, elle est en même temps la Fille bien-aimée de Dieu et, dans le Christ, la Mère universelle. Elle est le type parfait de l'Eglise terrestre et glorifiée. Quelle résonnance merveilleuse acquièrent en son existence singulière de Vierge d'Israël les paroles prophétiques concernant la nouvelle Jérusalem: « J'exulte de joie dans le Seigneur, mon âme jubile en mon Dieu, car il m'a revêtu des vêtements du salut, il m'a drapé dans le manteau de la justice, comme un jeune époux se met un diadème, comme une mariée se pare de ses bijoux ».(48) Près du Christ, elle récapitule toutes les joies, elle vit la joie parfaite promise à l'Eglise: « Mater plena sanctae laetitiae » et c'est à bon droit que ses fils de la terre, se tournant vers celle qui est mère de l'espérance et mère de la grâce, l'invoquent comme la cause de leur joie: « Causa nostrae laetitiae ».

Après Marie, Nous rencontrons l'expression de la joie la plus pure, la plus brûlante, là où la Croix de Jésus est embrassée avec le plus fidèle amour, chez les martyrs, à qui l'Esprit Saint inspire, au cœur de l'épreuve, une attente passionnée de la venue de l'Epoux. Saint Etienne, mourant en voyant le ciel ouvert, n'est que le premier de ces innombrables témoins du Christ. Combien sont-ils, de nos jours encore et dans maints pays, qui, en risquant tout pour le Christ, pourraient affirmer comme le martyr saint Ignace d'Antioche: « C'est bien vivant que je vous écris, désirant de mourir. Mon désir terrestre a été crucifié, et il n'y a plus en moi de feu pour aimer la matière, mais en moi une eau vive qui murmure et qui dit au-dedans de moi: " Viens vers le Père! " ».(49)

Aussi bien, la force de l'Eglise, la certitude de sa victoire, son allégresse lors de la célébration du combat des martyrs, viennent de ce qu'elle contemple en eux la glorieuse fécondité de la Croix. C'est pourquoi notre prédécesseur saint Léon le Grand, exaltant, de ce Siège romain, le martyre des saints Apôtres Pierre et Paul, s'écrie: « Précieuse est au regard de Dieu la mort de ses saints, et aucune espèce de cruauté ne peut détruire une religion fondée dans le mystère de la Croix du Christ. L'Eglise n'est pas amoindrie, mais agrandie par les persécutions; et le champ du Seigneur se revêt sans cesse d'une plus riche moisson lorsque les grains, tombés seuls, renaissent multipliés ».(50)

Il existe cependant de nombreuses demeures dans la maison du Père et, pour ceux dont l'Esprit Saint consume le cœur, plusieurs manières de mourir à eux-mêmes et d'accéder à la sainte joie de la résurrection. L'effusion du sang n'est pas la voie unique. Toutefois le combat pour le Royaume inclut nécessairement la traversée d'une passion d'amour, dont les maîtres spirituels ont su parler excellemment. Et ici leurs expériences intérieures se rencontrent, à travers la diversité même des traditions mystiques, en Orient comme en Occident. Elles attestent le même cheminement de l'âme, per crucem ad lucem, et de ce monde au Père, dans le souffle vivifiant de l'Esprit.

Chacun de ces maîtres spirituels nous a laissé un message sur la joie. Les Pères Orientaux abondent en témoignages de cette joie dans l'Esprit Saint. Origène par exemple a souvent décrit la joie de celui qui entre dans la connaissance intime de Jésus: son âme est alors inondée d'allégresse comme celle du vieillard Siméon. Dans le temple qui est l'Eglise, il serre Jésus dans ses bras. Il jouit de la plénitude du salut en tenant celui en qui Dieu se réconcilie le monde.(51) Au Moyen Age, entre beaucoup d'autres, un maître spirituel de l'Orient, Nicolas Cabasilas, s'attache à montrer comment l'amour de Dieu pour lui-même procure le maximum de joie.(52) En Occident, qu'il suffise de citer quelques noms parmi ceux qui ont fait école sur le chemin de la sainteté et de la joie: saint Augustin, saint Bernard, saint Dominique, saint Ignace de Loyola, saint Jean de la Croix, sainte Thérèse d'Avila, saint François de Sales, saint Jean Bosco.

Nous voulons évoquer plus spécialement trois figures, très attachantes aujourd'hui encore pour l'ensemble du peuple chrétien. Et d'abord le petit pauvre d'Assise, dont nombre de pèlerins de l'Année Sainte s'efforcent de suivre la trace. Ayant tout quitté pour le Seigneur, il retrouve grâce à la sainte pauvreté quelque chose pour ainsi dire de la béatitude originelle, lorsque le monde sortit intact des mains du Créateur. Dans le dénuement le plus extrême, à demi aveugle, il put chanter l'inoubliable Cantique des créatures, la louange de notre frère le Soleil, de la nature entière, devenue pour lui comme transparente et pur miroir de la gloire divine, et même la joie devant la venue de « notre sœur la mort corporelle »: « Heureux ceux qui se seront conformés à vos très saintes volontés... ».

En des temps plus proches de nous, sainte Thérèse de Lisieux nous indique la voie courageuse de l'abandon entre les mains de Dieu à qui elle confie sa petitesse. Ce n'est pourtant pas qu'elle ignore le sentiment de l'absence de Dieu, dont notre siècle fait à sa manière la dure expérience: « Parfois il semble au petit oiseau (auquel elle se compare) ne pas croire qu'il existe autre chose que les nuages qui l'enveloppent... C'est le moment de la joie parfaite pour le pauvre petit être faible... Quel bonheur pour lui de rester là quand même, de fixer l'invisible lumière qui se dérobe à sa foi ».(53)

Comment enfin ne pas rappeler, image lumineuse pour notre génération, l'exemple du bienheureux Maximilien Kolbe, pur disciple de saint François? Dans les épreuves les plus tragiques qui ensanglantèrent notre époque, il s'offrit volontairement à la mort pour sauver un frère inconnu, et les témoins nous rapportent que, du lieu de souffrances qui était habituellement comme une image de l'enfer, sa paix intérieure, sa sérénité et sa joie firent en quelque sorte, pour ses malheureux compagnons comme pour lui-même, l'antichambre de la vie éternelle.

Dans la vie des fils de l'Eglise, cette participation à la joie du Seigneur n'est pas dissociable de la célébration du mystère eucharistique, où ils sont nourris et abreuvés de son Corps et de son Sang. Car soutenus ainsi, comme des Voyageurs, sur la route de l'éternité, ils reçoivent déjà sacramentellement les prémices de la joie eschatologique.

Située en une telle perspective, la joie vaste et profonde répandue dès ici-bas dans le cœur des vrais fidèles ne peut apparaître que comme « diffusive de soi », tout comme la vie et l'amour dont elle est un heureux symptôme. Elle résulte d'une communion humano-divine, et aspire à une communion toujours plus universelle. Elle ne saurait en aucune manière inciter celui qui la goûte à quelque attitude de repli sur soi. Elle donne au cœur une ouverture catholique sur le monde des hommes, en même temps qu'elle le blesse de la nostalgie des biens éternels. Elle approfondit chez les fervents la conscience de leur condition d'exil, mais les garde de la tentation de déserter le lieu de leur combat pour l'avènement du Royaume. Elle les fait se hâter activement vers la consommation céleste des Noces de l'Agneau. Elle est paisiblement tendue entre l'instant du labeur terrestre et la paix de la Demeure éternelle, conformément à la loi de gravitation de l'Esprit: « Si donc, dès à présent, pour avoir reçu ces arrhes (de l'Esprit filial), nous crions: " Abba, Père! ", que sera-ce lorsque, ressuscites, nous le verrons face à face? Lorsque tous les membres, à flots débordants, feront jaillir un hymne d'exultation, glorifiant Celui qui les aura ressuscites d'entre les morts et gratifiés de l'éternelle vie? Car, si déjà de simples arrhes, en enveloppant l'homme de toutes parts en elles-mêmes, le font s'écrier:  " Abba, Père! ", que ne fera pas la grâce entière de l'Esprit, une fois donnée aux hommes par Dieu? Elle nous rendra semblables à lui et accomplira la volonté du Père, car elle fera l'homme à l'image et à la ressemblance de Dieu ».(54) Dès ici bas, les saints nous donnent un avant-goût de cette ressemblance.


47 Lc 1, 46-48.

48 Is 61, 10.

49 Lettre aux Romains 7; éd. « Sources chrétiennes », n. 10, pp. 102-105. Cf. Jn 4, 10; 7, 38; 14, 12.

50 Sermon 82, en l'anniversaire des Apôtres Pierre et Paul, 6. Cf. Jn 12, 24.

51 Cf. In Lucam 15; éd. « Sources chrétiennes », n. 87 pp. 233-237. Cf. Dictionnaire de Spiritualité, tome VIII, col. 1245, Beau-chesne 1974.

52 Cf. « La vie dans le Christ », VII, 5.

53 Lettre 175. Cf. Manuscrits autobiographiques, Lisieux 1956, B 5r.

54 S. Irénée, Adversus haereses, V, 8, 1; éd. « Sources chrétiennes », n. 153, pp. 94-97.

Exhortation apostolique Gaudete in Domino


Retour à La Une de Logo Paperblog