Depuis septembre que je le prenais, le soupesais, le reposais, le reprenais, le retournais, en lisais pour la quarante millième fois au moins la quatrième de couv, bref, depuis septembre que j'hésitais – sans trop savoir réellement pourquoi – un sixième sens ? – je me suis pris par la main et me suis poussé d'un coup d'épaule ( ?) dans
Les Veilleurs, de Vincent Message, il y a trois semaines de cela.
[trois semaines plus tard]
Cela fait trois semaines que je me prends, me soupèse, me repose, me reprends, me retourne et lis pour la quarante millième fois au moins quelques pages du premier roman de Vincent Message,
Les Veilleurs.
Lancé l'été dernier à grand renfort de Service Presse (cherchez dans les blogs, tout type de blog, c'est, disons, édifiant) pour la sacro sainte rentrée littéraire ce premier roman de premier de la classe – du moins est-ce l'impression que laisse la bio du jeune homme – premier de la classe mais pas premier en informatique, ou alors il a séché les cours (pas bien, pas bien) si j'en crois mes yeux effarés à l'examen de sa page officielle, tout naturellement accessible au nom de domaine
portant le nom de l'auteur (non, c'est logique, non ?) Je ne suis pas mauvaise langue, mais j'ose espérer que ce n'est pas le Seuil qui a payé quelqu'un pour pondre une daube visuelle que même le plus pourave des sites de création automatisée et gratuite de blogs ne se permet pas – ce premier roman, donc, d'un jeune auteur pas bien vieux (sic) a le mérite, certes tout relatif, d'avoir une quatrième de couv qui peut allécher. On cite ?
On.
Oscar Nexus a tué trois personnes dans la rue, puis il s'est endormi sur les cadavres. Nexus est un marginal auquel son emploi de veilleur de nuit n'a donné qu'un ancrage très fragile dans la réalité. Interné dans une clinique, il est pris en charge par Joachim Traumfreund, un médecin atypique et brillant. C'est à lui et à Paulus Rilviero, un officier de police, qu'on confie le soin de tirer au clair les mobiles de Nexus et de déterminer s'il est responsable de ses actes.
Afin de se consacrer à ce cas intriguant, Traumfreund transfère le criminel dans une annexe de la clinique, un bâtiment situé dans un coin de montagne que l'hiver isole peu à peu. Une fois sur place, nos deux enquêteurs découvrent que Nexus est un dormeur pathologique qui reprend nuit après nuit le fil du même Grand Rêve. Pour comprendre son crime, Traumfreund et Rilviero vont devoir s'immerger dans cet univers onirique où Nexus mène une véritable vie parallèle. Captivés par les récits du meurtrier, ils sont parfois rattrapés par le doute : comment être sûrs qu'ils n'ont pas affaire à un fabulateur ?
À partir de ce fait divers, Les Veilleurs nous entraîne dans une exploration passionnante des territoires de la folie et du sommeil. Reprenant certains codes des grands thrillers hollywoodiens, l'auteur compose une fresque sur la place de l'imaginaire dans la société moderne, plus rationaliste qu'aucune autre, mais aussi fascinée par les mondes virtuels et les faces nocturnes de la réalité.
Le hic, voyez-vous, c'est qu'on ne se méfie jamais assez de certains mots-clés, ceci même si le pitch de l'histoire peut sembler sinon alléchant du moins intéressant. Et puis aussi, on se dit que, allez, c'est un premier roman, d'un auteur qui a une identité nationale comme la nôtre (même pas drôle, je sais, je n'ai pas pu m'en empêcher – allons enfants de l'apatride !), et que, place aux jeunes, donc, hop, on l'achète (eh non, pas de Service Presse, l'adresse de l
'@robase dans laquelle je suis encoquillé est tenue secrète, ou alors un des Chums du Fric-Frac Club a détourné le facteur – la police n'exclut pas la thèse Lazare, au hasard…) et puis voilà comment on se trouve à le prendre, le soupeser, le reposer, le reprendre, le je vous laisse compléter vous avez compris le truc.
Le hic donc et nunc : « codes des grands thrillers hollywoodiens », « faces nocturnes de la réalité ».
Le hic #2 : c'est que cette quatrième de couv vous torche en, combien, dix lignes, ce que Vincent Message met 150 pages à vous raconter.
Parce que
Les Veilleurs est un pavé.
Warninge : les pavés ne me font pas peur, loin de là… Ou plutôt non loin de là se trouvent encore de sacrées traces de
2666,
Contre-jour,
La Famille Royale, etc.
Les Veilleurs, est un pavé
pavé.
Il faut en vouloir pour se colleter avec des pages dont la mise en du même nom semble avoir été faite à la truelle pour que tous les caractères tapés par le jeune premier puissent entrer dans le calibre défini – du moins le suppose-t-on – par l'éditeur. Ce qui donne des pages dans lesquelles les dialogues s'enchainent à grands coups de tirets (ouais, bon, il y en a d'autres qui aiment les tirets – à chacun ses petites manies, me direz-vous) puis d'autres dans lesquelles les cadratins sont dignement disposés. Résultat : un machin à la présentation foutraque, ce qui n'aide pas à sa lecture.
« Quand les forces de l'ordre sont arrivées - et dans cette ville où la raison dicte la cadence, elles n'ont pas dû traîner les voix enchanteresses des sirènes - nous formions déjà un seul bloc, mon sommeil commencé en même temps que leur putréfaction. Ils n'en ont sans doute pas cru leurs yeux. Moi j'étais endormi, mais pas don de seconde vue je m'imagine la scène. « Quatre morts ? On nous avait dit trois. - Non, attention, je suis témoin, le type du dessus c'est le meurtrier. - Vous vous foutez de ma gueule ? - Je vous crache sur la Bible et la tombe de ma mère qu'ils s'est couché sur eux. »
Ça pourrait ne pas gêner si l'écriture, le style Message n'était pas, lui aussi, foutraque, au service d'une histoire, comment dire sans se répéter ? foutraque ?
Allons-y pour foutraque.
Dès les premières pages, on a du mal à entrer dans le truc, même bille en tête :
Les Veilleurs ont la tête dure.
Rilviero s'est posé en compagnie d'une expresso qui paraît minuscule sur l'immense table et d'un énorme coup de barre
[ah ah ah ! – c'est bien là que le lecteur doit rire ?]
Mais on en a connu de plus coriaces, donc on s'accroche.
D'autant plus qu'on croise de petits trucs bien sympathiques qui font tiquer puis nous attendrissent, parmi lesquels, on l'avoue, un très pynchonien et danielewskien
Chiclitz (si, si, j'vous jure !) – d'ailleurs, lors des fouilles préliminaires à ce papier, il semblerait que Vincent Message,
entre autres influences (rêvées ?), cite
Pynchon, Borges, Nabokov,
Cortazar…) – il est bien ce garçon, non ? Et puis primé par Virgin et Lire et boursifié par la SGDL et listé pour certains prix beigbederisés ou liberatisés ou je ne sais plus…
Donc donc donc, on sourit, on s'ébroue, se dit que le meilleur des Veilleurs va arriver, oui, c'est sûr, qu'on l'aura bondedla.
Et c'est ainsi que trois semaines plus tard,
Les Veilleurs se retrouvent vainqueurs par abandon à la 150
e page.
Pourquoi comment ?
Parce que Vincent Message en fait trop, des tonnes, même. Parce que ses petites manies, pour passer, devraient former un tout et non pas se voir comme le nez au milieu de la figure, genre « matez-moi ça les gars comme je m'éclate avec les mots ! » ni apparaître comme ça, au petit bonheur la (mal)chance.
Parce que cette histoire se traine en longueur (cf. plus haut l'équation 10 lignes 150 p) de ne pas aboutir.
Parce que toutes les cinquante pages en moyenne et à la louche (sic), on passe du présent – dans lequel Message patine et s'emmêle la fluidité – au passé simple avec lequel on le sent nettement plus à l'aise, son récit devenant alors plus rapide et rythmé.
Parce que peut-être aurait-il dû réécrire (oui, je sais, une fois de plus)
Les Veilleurs ?
Parce que depuis Saint Pennac, on sait tous qu'on a le droit d'abandonner, et que depuis Saint Fric-Frac on a le droit et surtout le devoir de le dire – c'est fait.
Même si, selon certains, le meilleur des Veilleurs ne se révèle qu'à la fin (ce qui me conduit à me demander si je ne vais pas le lire à rebrousse pages, sait-on jamais…)
Une chose est certaine, le Pynchon identifié national n'est pas encore pour aujourd'hui – ou si vous avez des suggestions à me faire, je suis preneur.
Ô combien.