David Cronenberg / Henry Bean, tel aurait pu être le tandem créatif de cette suite du thriller de Paul Verhoeven. Elle aurait pu constituer l’occasion d’un croisement des univers relativement proches du réalisateur canadien et du cinéaste hollandais : le travail à l’intérieur des genres, leur goût pour la provocation ainsi que leur intérêt pour les perversions. On imagine un exercice de style sophistiqué où David Cronenberg se serait approprié les motifs établis par Paul Verhoeven. Hélas, ce fantasme de cinéphile ne se concrétisera pas ; David Cronenberg ne sera finalement qu’un nom parmi d’autres dans la longue liste des metteurs en scènes un temps pressentis. Du script original d’Henry Bean, il ne reste sans toute plus grand chose suite aux réécritures successives ; le scénariste, familier des personnages ambigus, semblait pourtant l’artisan idéal pour traiter ce type de sujet. Le destin de la franchise « Basic Instinct » échouera finalement à Michael Caton-Jones, réalisateur qui jusqu’à présent ne s’est jamais illustré par une vision réellement personnelle.
Le projet d’une suite à Basic Instinct relevait de l’entreprise extrêmement périlleuse, étant donné le statut qu’il a acquis au fil des années. Passé à la postérité, d’abord pour le scandale qui l’entoura lors de sa présentation au Festival de Cannes, pour l’énorme succès qui suivit, ainsi que pour la révélation de sa comédienne principale, il représente, plus sérieusement, l’une des très grandes réussites hollywoodiennes de Paul Verhoeven. Basic Instinct s’imposera aussi d’emblée comme une œuvre-matrice, engendrant une mode de films conçus sur son modèle. Auparavant, plusieurs films similaires, tels que Fatal Attraction d’Adrian Lyne ou Black Widow de Bob Rafelson en 1987, avaient préfiguré cette mouvance mais étaient restés des cas isolés, trop peu nombreux alors pour constituer un véritable cycle. Le filon mercantile de l’erotic thriller, pensé dans la seule intention de réitérer le succès colossal de Basic Inctinct, se développera à travers une multitude de films. Dès lors, s’atteler à une sequel quatorze ans après l’original impliquait de se situer après une vague de films innombrables qui, à force de décliner un même concept - meurtre, suspense et sexe -, ont fini logiquement par le tarir, faute d’avoir su introduire un sang neuf à l’intérieur de cette formule. Le phénomène du « thriller érotique » est aujourd’hui passé de mode, l’intérêt du public et la qualité de ces réalisations déclinant ; il reste essentiellement associé aux années 1990 correspondant à sa période faste. L’idée même d’un «deuxième» Basic Instinct devient par conséquent, en 2006, obsolète en termes de potentiel commercial, car dépassée.
On s’attendait avec Basic Instinct 2 à voir une stricte application du principe classique des suites : réutiliser les éléments marquants de l’original et les développer dans le sens de la surenchère. Du point de vue scénaristique, on retrouve une trame quasi-identique : Catherine Tramell, suite à la mort mystérieuse de l’un de ses amants, fait l’objet d’une enquête, menée par un psychiatre - succédant à l’inspecteur du premier volet - qui succombe aux charmes de la belle. Michael Caton-Jones conserve le thème principal de la partition de Jerry Goldsmith mais romp d’un point de vue esthétique avec les choix de Paul Verhoeven. Si ce dernier avait opté pour une photographie soignée aux couleurs chaudes, alliée à un visuel rétro sous l’influence du Vertigo d’Alfred Hitchcock, le cinéaste écossais a privilégié les teintes grisâtres, froides, ainsi qu’une lumière austère.
Si ces partis pris de rupture stylistique sont en eux-mêmes respectables, l’éradication du côté « sulfureux » et déviant ne peut-être approuvé. Basic Instinct 2 reprend les meurtres sanguinolents qui parsemaient le récit, mais perd en revanche, sous la menace d’une classification NC-17 qui aurait condamné son avenir commercial, l’érotisme pervers fort prononcé de son prédécesseur. Le film s’est ainsi vu amputé de plusieurs séquences - que la production a jugé bon de mettre en ligne - et se voit ainsi privé de sa substantifique moelle. Rien de proprement « osé » ou « scandaleux » ne demeure par conséquent dans Basic Instinct 2. Cette autocensure regrettable n’explique pourtant pas à elle seule le désastre que constitue cette seconde mouture.
L’intrigue du film souffre visiblement de ses remaniements multiples ; elle s’embourbe progressivement dans un imbroglio de fausses pistes, rendant rapidement le récit confus, et finalement incompréhensible à force d’accumuler les twists les plus improbables. Les personnages du film de Paul Verhoeven et de Joe Eszterhas présentaient une véritable ambiguïté liée à un passé mystérieux dévoilé par touches : les bavures, l’alcoolisme, la dépendance à la drogue de Nick Curran, comme la mort «accidentelle» des parents de Catherine Tramell durant son enfance. Malheureusement, les protagonistes perdent ici toute épaisseur psychologique. Au policier tourmenté succède un psychiatre faible et prude tandis que la mante religieuse adepte du pic à glace se voit dépouillée de tout charme vénéneux. Le film renonce à établir de manière assurée la filiation avec l’original. Si l’idée de transposer l’action à Londres s’avère intéressante car permet d’ajouter à la distance temporelle entre les deux volets, un éloignement spatial, le film se devait néanmoins de résoudre la question de la cohérence de l’histoire. Qu’est-il officiellement advenu de l’inspecteur incarné par Michael Douglas ? Son existence est tout juste mentionnée mais le récit n’élucide jamais le flou qui entoure le personnage. Indépendamment de son invraisemblance scénaristique, Basic Instinct 2 ne décolle jamais réellement, ne réussissant jamais à mettre en place un véritable suspense. Michael Caton-Jones ne parvient jamais à insuffler le moindre dynamisme à sa mise en scène qui demeure plate et statique d’un bout à l’autre. Le film a recours ponctuellement à quelques effets de montage maladroits : ralentis, raccords abrupts sur des bruitages appuyés, flashes grossiers.
L’interprétation est à l’avenant. En première ligne, portant le film sur ses épaules, Sharon Stone, caricature sa composition originale par le cabotinage. Le plus souvent le visage sur-maquillé, la chevelure ébouriffée, et affublée de tenues relativement chastes, elle se situe aux antipodes de sa création première : le rôle qui la promut jadis au rang d’«icône sexuelle». Elle renonce aux poses suggestives et aux tenues moulantes de sa jeunesse pour arborer un look des plus chargés (bagues, colliers, manteaux de fourrure) qui anéantit toute sensualité possible. Le découpage ne parvient jamais à magnifier l’actrice et sa plastique comme avait su le faire Paul Verhoeven ; la caméra la réduit quasiment au niveau de l’accessoire décoratif. De son côté, David Morrissey ne dégage pas l’once du charisme de Michael Douglas. Fade, inexpressif, il rend pratiquement impossible l’identification du spectateur. La présence de Charlotte Rampling dans la distribution laissait augurer d’un rôle moralement trouble, registre dans lequel elle excelle, mais il n’en est rien. Son rôle est pauvre, trop restreint pour que la comédienne britannique puisse y exprimer toute l’étendue de son talent. Seul David Thewlis semble tirer son épingle du jeu lors de quelques scènes où il apparaît vraiment à son aise.
On se serait contenté à la rigueur d’un pur produit d’exploitation qui se serait assumé comme tel avec son côté racoleur et opportuniste, à défaut d’avoir droit à une expérience un tant soit peu novatrice, mais qui aurait au moins su respecter la nature de son modèle et remplir son contrat de divertissement. Le long-métrage de Michael Caton-Jones reste beaucoup trop sage pour la suite d’un film lui, véritablement audacieux. Il passerait aisément pour un direct-to-video de bas étage s’il n’était «sur-budgétisé». Ni efficace, ou même distrayant, Basic Instinct 2 est en revanche grotesque et ennuyeux à la fois.
Basic Instinct 2. États-Unis. 2006. Réalisation : Michael Caton-Jones. Scénario : Leora Barisch et Henry Bean. Image : Gyula Pados. Montage : John Scott et Istvan Pasztor. Musique : John Murphy. Interprétation : Sharon Stone (Catherine Tramell), David Morrissey (Michael Glass), David Thewlis (Roy Washburn), Charlotte Rampling (Milena Gardosh), Hugh Dancy (Adam Towers). Durée : 1 h 54 min. Sortie en salles : 29 mars 2006.