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Le grand cahier

Par Madame Charlotte

agota1Auteur :  Agota Kristof
Éditeur : Points
1ère édition : 1986
Nb de pages : 183
Lu : Décembre 2009
Ma note : 4

Résumé :
Dans la Grande Ville qu’occupent les Armées étrangères, la disette menace. Une mère conduit donc ses enfants à la campagne, chez leur grand-mère. Analphabète, avare, méchante et même meurtrière, celle-ci mène la vie dure aux jumeaux. Loin de se laisser abattre, ceux-ci apprennent seuls les lois de la vie, de l’écriture et de la cruauté. Abandonnés à eux-mêmes, dénués du moindre sens moral, ils s’appliquent à dresser, chaque jour, dans un grand cahier, le bilan de leurs progrès et la liste de leurs forfaits.
Le Grand Cahier nous livre une fable incisive sur les malheurs de la guerre et du totalitarisme, mais aussi un véritable roman d’apprentissage dominé par l’humour noir.

Mon avis :
Le grand cahier est un roman tout à fait déroutant sur bien des points. Composé de très courts chapitres, il relate l’arrivée et la vie de jumeaux confiés à leur grand-mère pendant la guerre. Chaque chapitre aborde un aspect différent de la nouvelle vie des deux jeunes frères. Écrits à la troisième personne du pluriel, les chapitres s’avèrent vite être des compositions écrites par les frères eux-mêmes, s’astreignant ainsi à divers exercices quotidiens de multiples natures, scolaires, pratiques, psychologiques, etc.
Le style est laconique, concis, sans fioritures, les enfants essayant d’écrire des compositions ne relatant que la vérité et les faits bruts.
Cette forme de récit peut surprendre, mais le rythme en devient soutenu, sans temps mort ni longueur. Cette objectivité et cette froideur donnent le ton général.
Livrés à eux-mêmes, ignorés par leur grand-mère à la triste réputation, les jumeaux mettent à profit leur intelligence peu commune pour survivre. Ils s’obligent à s’endurcir, s’imposant des « exercices » réguliers, souvent violents, physiques ou intellectuels, pour devenir peu à peu insensibles aux attaques du monde extérieur. Les enfants sont troublants, au-delà de leur intelligence on devine effectivement une absence totale de sentiment, bien illustrée par leurs compositions objectives, sans nuances. Certains épisodes relatés sont franchement écœurants, les jumeaux assistent à des scènes de zoophilie, sont victimes de pédophilie. Ces passages sont assez pénibles, mais heureusement sans manière et très brefs, et ce qui choque, c’est presque plus l’absence de réaction des enfants que ces scènes contre-nature pourtant déjà bien dérangeantes.

Les jumeaux, dont on ne connait pas les noms, continuent de retranscrire des scènes incroyables, peu imaginables. Leur absence de sentiments est de plus en plus troublante, les actes qu’ils commettent envers les animaux ou les humains sont à difficilement concevables et n’éveillent chez eux aucune émotion. Des enfants anonymes apparaissant comme des robots, sans âmes, endurcis, victimes de la guerre comme tant de populations innocentes.

Le contexte familial, lourd, (leur grand-mère est un bien beau personnage d’odieuse vieille), ajoute à l’horrible réalité de la guerre, ses privations, ses deuils, ses traîtrises. On peut comprendre le comportement des jumeaux comme une réaction, une adaptation à cette vie misérable privée d’amour et de tendresse.

La fin du volume marque un tournant dans leur vie, tournant qui sera pris dans La preuve.
Violent, glauque, glacial, pessimiste, noir et profondément douloureux, ce roman initiatique peut déranger mais on a du mal à le lâcher tant le récit reste atypique et captivant.


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