C’est le titre d’un travail de recherche qu’a présenté dernièrement Ali-Joshua Bristol devant la société d’archéologie clinique de Munich. J'ai récemment rencontré et interrogé cet historien sur les raisons pour lesquelles il a réalisé cette étude quelque peu atypique.
Selon votre conférence, tout a commencé par une rencontre avec un Collègue français.
AJB -Tout à fait. Ce collègue, issu du sud de la France, m’a transmis quelques notes dont il savait qu’elles allaient m’intéresser. C’était les transcriptions d’un entretien qu’il avait eu avec un vieil oncle appelé GdM. Ce dernier racontait à chaque repas de famille et à qui voulait les entendre des anecdotes sur son premier métier aujourd’hui disparu.
Pourquoi étaient-elles intéressantes ?
AJB- En tant qu’historien de la santé, j’étudie les évolutions du modèle sanitaire mis en place en Europe durant le XXème siècle. La disparition d’une spécialité médicale qui a rendu autant service représentait pour moi un objet d’étude particulièrement instructif. Grâce au vieil oncle, j’ai eu une idée assez précise du quotidien de cette profession. Il faut savoir qu’à l’époque, les gens se rendaient dans un lieu appelé laboratoire, souvent proche de chez eux, pour faire ce qu’ils appelaient des analyses médicales. Du sang leur était prélevé le matin pour être analysé ensuite par des automates. Ils revenaient le soir même pour récupérer les résultats de ces analyses, imprimés sur des feuilles de papier. Bien sûr, je simplifie un processus qui pouvait être parfois beaucoup plus complexe. Mais comme aujourd’hui les choses sont tellement différentes, cette simplification est nécessaire pour bien visualiser le cœur de ce métier.
Que s’est-il passé ?
AJB- Pour bien comprendre parlons de chiffres. En 2008, la France a dépensé 170 milliards d’euros pour se soigner dont 4,5 milliards pour cette spécialité qu’est la biologie médicale. Le déficit de la Sécurité sociale était alors de 20 milliards d’euros. Il fallait tout tenter pour faire des économies, or à cette période, la biologie médicale était assaillie de toute part : par une plainte européenne, par un lobby qui prônait une biologie déréglementée, par certaines administrations qui voyaient d’un mauvais œil les revenus des biologistes, par l’accumulation des innovations techniques qui rendait la rupture inéluctable. De plus, son cadre réglementaire, qui datait de 1975, ne jouait pas en sa faveur. Je ne parle pas des biologistes qui n’ont pas vu ou voulu voir cette rupture arriver. Cette hypothèse reste difficile à démontrer car c’était une profession discrète, qui ne faisait pas de bruit. Les documents qui relatent leur « faits d’armes » sont très rares, j’en ai trouvé quelques uns qui concernent la loi Evin et d’autres, vingt ans après, rédigés par l’intersyndicale des biologistes contre la loi HPST.
Selon vous, qu’est ce qui a précipité la disparition de cette profession ?
AJB- La disparition ne s’est pas faite d’un coup. Il y a d’abord eu ce que j’appelle « la grande rupture » en janvier 2010. Deux textes fondateurs sont à l’origine de cette rupture : la norme ISO 15189 : 2007 et la version V14.4 de l’Ordonnance sur la biologie médicale. Le premier texte est normatif et le second est réglementaire. Ce qui a déclenché la réaction en chaîne est relativement simple : le second texte, apparu chronologiquement après, a rendu le premier obligatoire. Les conséquences ont été radicales. Pour bien comprendre de quoi il s'agit, il faut imaginer que le laboratoire du coin de la rue dont je vous ai parlé tout à l’heure devait en l’espace de 6 ans se transformer en prestataire de niveau international puisque c’est l’objectif même d’une norme internationale ISO (iso = en tout point identique). Le coût financier, en compétences et en charge de travail était tel que mécaniquement plus de la moitié des laboratoires ont dû fermer avant 2016. Les laboratoires se sont logiquement concentrés avec la mise en place d’une logistique impressionnante. La normalisation a été telle que les patients se faisaient prélever de la même manière partout en France, les valeurs de références pour les analyses étaient partout identiques et les comptes rendus étaient rédigés à l’identique du nord au sud. L’industrie du diagnostic a également beaucoup souffert car les biologistes sont devenus extrêmement exigeants. Du coup, deux géants se sont partagés le marché : les groupes Sioche et Remens car ils ont pu s'adapter aux nouvelles contraintes.
Les économies ont-elles pu être réalisées ?
(AJB sourit) - Revenons aux chiffres. Cette rupture a concerné 2,5 % du budget global de la santé. Si 50% d’économies sont réalisées sur la biologie, elles ne peuvent diminuer le budget global que de 1,25%. Fallait-il tout changer ? Je vous laisse le soin de répondre.
Que s’est-il passé ensuite ?
AJB- Ce n’est pas très clair. Nous manquons de données précises mais la population a continué de vieillir consommant de plus en plus d’examens. Les industriels se sont regroupés et ont augmenté le prix de leurs automates, réactifs et prestations. De fait, il est probable que les économies d’échelle réalisées aient été vaines. Par ailleurs, l'Ordre des pharmaciens qui est un des piliers de la profession a été secoué par l'instruction européenne et ceci a peut-être eu un impact sur la suite des évènements. Mais nous continuons la recherche de documents de l’époque pour le confirmer.
La biologie médicale a finalement cessé d’exister en tant que telle.
AJB- Oui. Aux alentours de 2030, le concept même de laboratoire a disparu laissant la place aux « with you », ces boitiers qui nous accompagnent partout et qui, entre autres fonctions, surveillent en permanence nos paramètres vitaux. Mais ça c’est du présent, cela ne m’intéresse pas beaucoup. (Deux bips différents retentissent). D’ailleurs mon « with you » me signale que je dois manger mais en diminuant ma ration de lipides. Que dit le vôtre le vôtre ?
Que mon taux de sérotonine s’élève. Vous êtes libre pour dîner ?
AJB- Absolument. Je vous raconterai une autre histoire passionnante, celle de la radiologie.
Sandra Yuan-Riviêre.
Mars 2043, pour European e-News.
Mes amis, j'ai enfin mis la main sur les textes de la version V14 de l'ordonnance et de la norme 15189 : 2007. J'ai comme l'impression qu'on a pas finit d'en entendre parler ! L'avenir nous le dira bien.
GdM