"Au moins 3 choses que Le Monde ne comprend pas sur Second Life". Le titre de l'article pourrait être décliné sur d'autres médias. Je me suis souvent demandé sur tous les auteurs d'articles sur SL y avait mis les pieds. Là, Hélène Zuili remet les choses en place dans un article que l'on ne peut que cautionner. Et si en France, au lieu de tout détruire, critiquer, on construisait. Et si l'on passait de l'avocat du diable, posture facile, à celle de l'avocat de l'ange, ô combien engagageante. Un article à lire !
Au moins 3 choses que Le Monde ne comprend pas sur Second Life
Un article récent du journal Le Monde "Sur Internet, la gloire peut vite tourner à la déchéance" signé Cécile Ducourtieux et Laurence Girard mentionne une hypothétique déchéance de Second Life, la comparant à AOL, Netscape ou Alta Vista, et la considérant "ringardisé par les réseaux du type Facebook ou Twitter, collant mieux aux attentes des internautes, qui plébiscitent notamment la possibilité d'y partager photos et vidéos".
Il est choquant de constater qu'un sujet libellé "Enquête" puisse ainsi parler d'une “société” (Linden Lab, l’éditeur de Second Life compte 300 employés dans le monde), qui non seulement est profitable, mais qui en plus, continue à se développer tout en travaillant à améliorer son modèle pour le rendre à la fois plus centré utilisateur, et ainsi l'ouvrir à une audience plus large, moins "gamers, et plus stable et fiable technologiquement parlant.
Une société profitable
Second Life, profitable tout comme Habbo Hotel, Entropia ou Club Penguin, et contrairement à Facebook ou Twitter, portées aux nues mais qui cherchent encore comment gagner de l'argent. Profitable parce que le modèle de Second Life repose à la fois sur ses abonnés et sur les micro paiements liés aux transactions entre résidents de biens ou services virtuels, et qui fait de Second Life la plus grande économie virtuelle du monde.
Plus d’un milliard de dollars dépensé entre Résidents depuis sa création.
Avec près de 50 millions de dollars échangés entre utilisateurs chaque mois, l’économie de Second Life représente un marché de près d’un demi milliard de dollars par an, et progresse de 94% entre le 2ème trimestre 2008 et le deuxième trimestre de 2009.
En période de crise, nombre de sociétés aimeraient annoncer ce genre de chiffres, et plus spécifiquement la presse, en France, constamment aidée par l'Etat, c'est à dire le citoyen, - 284,5 millions en 2009. La presse, toujours à la recherche de la dernière rumeur ou mouvement d'opinion, qui pourrait lui permettre de plaire plus et mieux, aux annonceurs, puis aux lecteurs susceptible de payer son euro quotidien...
Une société qui continue de susciter l'intérêt des médias
Second Life existait depuis déjà 3 ans quand les médias ont commencé à s'intéresser à elle, suite à la publication d'un article de Newsweek relatant notamment la réussite d'Anshe Chung, première millionnaire en dollars de ces univers virtuels. Je me souviens d'ailleurs d'un numéro spécial que Le Monde avait consacré à Second Life en décembre 2006, très documenté et qui avait suscité le début d'un mouvement d'intérêt dans notre pays.
Mais regardons de plus près...
On peut voir la trace de ce numéro du Monde sur ce graphique qui illustre le volume de recherches lié à la couverture médias de l'occurrence Second Life en France. Assez similaire d'ailleurs au second graphique sur le volume mondial.
On peut constater qu'une fois passée la vague "hype" médiatique de 2007, la couverture est certes plus faible, mais étoffée et constante. Il est d'ailleurs intéressant de comparer, comme le fait Wagner James, la couverture média du casual game de Facebook Yoville qui revendique 20 millions d'utilisateurs actifs et celle de Second Life qui en revendique autour d'un million sur 20 millions de comptes ouverts.
On comprendra ici que Second Life continue à susciter l'intérêt des médias et que ce n'est pas parce que les médias français ont décidé de le "ringardiser" au profit de médias sociaux plus "bruyants" - et donc plus vendeurs - qu'il faut entériner sa disparition ! Bien au contraire.
Une comparaison peu pertinente avec Facebook ou Twitter
Comparer Second Life avec Facebook ou Twitter relève d'une totale incompréhension de ce que préfigurent les univers virtuels. C'est dommageable, mais on comprendra que le foisonnement des nouvelles technologies laisse peu de temps à ces journalistes pour se former au jour le jour, et développer une vraie analyse de la façon dont chacun de ces médias interagit dans la nouvelle société du Moi le Média.
Second Life n'a rien d'un réseau social, il est une nouvelle forme du web. Un web 3D, immersif. Ce que décrit Dr Yesha comme un standard 3D3C : 3D pour les 3 dimensions de ce monde interactif et 3C pour “Communauté” dans laquelle les individus se connectent les uns aux autres, pour “Création” qui permet à chacun de s'exprimer comme il le souhaite et comme “Commerce” qui corrèle des liens économiques et notamment monétaires à certaines interactions dans ce monde.
Juste quelques chiffres pour se représenter l’effervescence de ce monde :
- - Plus d’un milliard d’heures ont été passées, au total, par l’ensemble des utilisateurs à travers le monde, soit 115 000 ans
- - 100 minutes – c’est la moyenne du temps que passent les Résidents dans Second Life à chaque visite.
- - Les Résidents créent plus de 250 000 nouveaux biens virtuels chaque jour
- - Plus de 18 milliards de minutes de chat vocal ont été utilisées sur Second Life depuis que le chat vocal a été introduit en 2007
- - Près de 1 250 messages instantanés sont envoyés toutes les secondes dans Second Life et plus de 600 millions de mots sont tapés chaque jour. Ils sont émis par près de 60% des Résidents actifs de Second Life basés en dehors des US – ils viennent de plus de 200 pays.
- - Deux milliards de mètres carrés, c’est la surface totale approximative atteinte par le monde virtuel Second Life – soit l’équivalent de l’état du Rhode Island aux USA
Dans Second Life, je ne raconte pas ce que je suis en train de faire, je fais, je crée, je communique, je vends et j'achète des biens et services virtuels, je participe à des concerts live ou à des conférences, j'apprend une langue étrangère ou je suis le dernier cours donné par un professeur émérite de Stanford, je partage des objets sociaux... films et photos accessoirement, ... comme dans Facebook, qui à mon sens, n'est pas plébiscité pour ces 2 fonctionnalités, mais pour ce qu'il permet de (re)créer du lien et d'exister avec une facilité déconcertante...
Quant à Twitter, qui risque de rejoindre le giron de Google dans les prochaines semaines, il est le symptôme le plus émergé de notre déplacement dans la société du Temps Réel, et une fonctionnalité sociale qui sera bientôt intégrée dans l'ensemble des plateformes. Je peux d'ailleurs twitter comme je le veux depuis Second Life, comme je le fais depuis mon TGV via mon iPhone. Comme le dit si bien , Twitter makes the noise, Second Life makes the money.
Sur Internet, des sociétés naissent et meurent….comme dans la vie offline…
Oui, les nouvelles technologies de l’information et de la communication produisent profusion d’idées, de mashup, d’annonces, d’entités de création qui démarrent dans des garages ou dans les sous-sols des universités, et terminent parfois sur le tableau lumineux de Wall Street. Mais personne n’a oublié la bulle de 2001.
En 8 ans, le changement s’est fait en profondeur, l’internaute, le mobilnaute, le mailnaute sont devenus les médias et les lignes se sont déplacées, faisant peu à peu sauter les intermédiaires. La convergence et la globalisation change la donne et accélère le mouvement. C’est l’adoption par l’utilisateur qui fait le succès d’une application, et l’effet longue traîne qui permet aux éditeurs d’ajuster au mieux leur produit. Microsoft n’a pas peur de Google, mais s’en inspire directement pour la production et le lancement de Windows 7.
Tout comme au temps de la révolution industrielle, les sociétés, sur internet ou non, disparaîtront si elles n’intègrent pas ces changements. La presse et les médias traditionnels, auront du mal à conserver leur position, si elles se contentent d’imiter les blogs ou de ne pas apporter une vraie valeur ajoutée en terme d’investigation et d’analyse.
Les Univers Virtuels préfigurent l’un des futurs les plus probables de l’internet…
La société d'études Kzero reporte une augmentation des abonnés des univers virtuels de 39% pour le second trimestre 2009, ce qui porterait leurs usagers à 579 millions dont plus des deux tiers a moins de 20 ans. Cette génération cherchera de toute évidence des supports de socialisation et des pratiques collaboratives plus immersives, où leur incarnation via un avatar ne prêtera plus aux sourires narquois.
La sortie du film de James Cameron, Avatar, cette semaine, a bien des chances de produire une « génération Avatar » tout comme la plupart de ces films cultes ont profondément influencé notre vision du monde. La 3D finira par se généraliser, et tout comme l’introduction de la perspective à la Renaissance italienne, elle changera elle aussi notre appréhension et notre exigence de la représentation des contenus et des interactions à l’homme.
Mais Second Life sera-t-elle la société qui aura initié le mouvement tout comme Netscape l’a fait au début de l’internet, ou saura-t-elle faire passer ses utilisateurs précoces à une adoption de masse. Les lancements de nearLondon ou de BlueMars – toujours en test-, le mouvement OpenSim, ainsi que d’autres développements prometteurs proposent de nouveaux modèles économiques qui peuvent séduire d’autres publics. L’une des clefs est peut-être dans la mise au point de cet « avatar universel » qui nous permettra d’aller d’un monde à l’autre sans nous préoccuper de la technologie mais en visant simplement les contenus et l’usage que chacun souhaite en faire.
Linden Lab, l’éditeur de Second Life, sait tout cela et a notablement accéléré le mouvement depuis 2008 : éjection des casinos, séparation des « jeux adultes », limitation de la spéculation sur les terres, nouvelles règles pour les marchands, enrichissement des comptes premium, redéfinition de la première heure de prise en main avec un nouveau navigateur attendu, création d’un programme centré entreprises, restructuration des sites webs,… et plus récemment, changement d’agence de relation presse et médias….
Sa réussite dans le monde éducatif, avec l’implantation des plus grandes universités du monde (et plus récemment la faculté de Lyon 2), est un atout notable dans la propagation de sa technologie auprès d’une cible jeune et grand public.
Il lui reste à regagner la partie avec les entreprises. Car, ces univers virtuels, que nous devrions rapidement appeler autrement, car ils n’ont de virtuel que leur nom, - et ne sont pas plus ou moins virtuel que Facebook - sont aussi dans l’œil de la plupart des prospectivistes. Ils représentent l’un des apports les plus intéressants, au débat de notre siècle sur la question de l’environnement. Ils modifient les pratiques collaboratives, en leur donnant plus de « corps », et permettent aux entreprises de s’inscrire dans une logique « verte » tout en réalisant une réelle économie qu’elles peuvent réinvestir dans le bien être des collaborateurs… (voir article sur la formation professionnelle et sur les modes collaboratifs en entreprise).
Le lancement de Second Life Entreprise en 2010, sera l’une des clefs de son développement sur un public institutionnel qui constitue pour beaucoup l’amorce de la courbe « post-chasm », dont la loi de Moore nous promet qu’elle conduit à une adoption de masse.
C’est peut-être de là que viendra le changement de ton des médias sur le sujet Second Life. Pour ma part, et puisque l’époque est aux vœux et aux prédictions, je prédis que Linden Lab sera dans la course et lui souhaite une grande année 2010