Il y a peu, à l’échelle des temps, c’était le 23 octobre 1996, le pape admettait « officiellement » que la théorie de l'évolution des espèces « de Darwin et Lamarck » ( omettant que le darwinisme c’est tout autre chose que le Lamarckisme) était «plus qu'une hypothèse»...
Une déclaration dont certains adeptes ( du dogme papal) purent conclure que cette même « théorie » était donc « moins qu’une réalité » , tandis que d’autres, adeptes du relativisme de toute connaissance ( notamment scientifique ), n’y virent qu’un argument pour renforcer leur thèse que : c’est «un type de connaissance qui en vaut un autre », autrement dit qu’ils placent dans leur système de compréhension de la vie et de son devenir, au même niveau que le « créationnisme » , « le dessein intelligent » et les différents récits mythiques des origines.
Pour tous ces « sceptiques » ( et c’est en ceci qu’ils sont réputés se distinguer des intégristes) il ne s’agit plus de contester « frontalement » la théorie Darwinienne, mais de poser que c’est est une « hypothèse » à considérer, mais … pas plus qu’une autre, ou juste un peu plus , mais à condition de la vider de son contenu explicatif et de ses conclusions à proprement parler essentielles.
Tout aussi nombreux sont ceux-là qui ont considéré cette théorie de l’évolution, de la vie, de ses origines et de son devenir, comme justification essentialiste d’une certaine idée de la « nature humaine » et, reprenant étrangement les termes de la lettre adressée par Marx à Engels le 18 juin 1862 :
«Il est curieux de voir comment Darwin retrouve chez les bêtes et les végétaux sa société anglaise avec la division du travail, la concurrence, l’ouverture de nouveaux marchés, les “inventions” et la “lutte pour la vie” de Malthus. C’est la bellum omnium contra omnes de Hobbes »,
en conclurent ( à l’inverse de Marx , naturellement) qu’au fond, en s’appuyant sur le darwinisme, on pouvait « scientifiquement » établir que le capitalisme et les modalités des rapports sociaux qu’il induisait, étaient « dans la nature de l’homme », pour lequel ils édifièrent ipso facto une « religion laïque » , non pas contradictoire mais complémentaire des précédentes, et cantonnée dans l’ordre séculaire de « l’économie » : le libéralisme.
Aucun de ces « malgré eux », ralliés au darwinisme au prix de son absolue dénaturation et du rejet de tout ce qu’il implique, n’imagine pourtant qu’une novation endogène puisse affecter le devenir humain. Un destin de l’humanité et du monde dans lequel il s’accomplit, qu’ils ne conçoivent que programmé une fois pour toutes et à des fins connues d’avance, du reste déjà contenues dans ses causes premières. Il ne s’agit même pas, pour ces zélotes du deus ex machina et de son incarnation dans le divin marché, de se poser la question de savoir si « Dieu joue aux dés ». Il ne s’agit d’ailleurs pas de savoir ou de connaître, encore moins de comprendre, quoique ce soit. Du reste ils ont de ce point de vue le soutien des lumières du relativisme généralisé : puisque de toute façon tout vaut tout et réciproquement, à quoi bon ?
Avec 150 ans de recul, force est de constater que la méthode heuristique de Darwin s’est révélée d’une fécondité sans pareille et d’une longévité sans équivalent dans l’histoire de la science « moderne ». Pire, pour les dogmatiques : voilà un système de causalité qui explique la vie et son devenir sans la moindre cause première ni aucune finalité, et qui n’a reçu à ce jour aucun contredit.
La dialectique matérialiste elle-même n’a pas su et n’a pas voulu casser ces briques évolutionnistes, car cette « finalité sans fin » que Kant limitait à son Esthétique, cette « généricité muette » qui, selon Lukacs extrapolant la pensée de Marx, est le propre de « l’être social » humain , ce devenir de toute chose porte le même mécanisme de transformation et de détermination, fait de hasard et de nécessité , où l’histoire fait les hommes en même temps qu’ils la font.
Ici et maintenant, c’est à dire en Narkozie fin 2009, on peut se laisser aller à déplorer que « nous sommes faits » plutôt qu’en train de faire ( cette histoire).
Pourtant l’un ne va pas sans l’autre.
Avec Darwin, le monde comme « création continuée » tel que le posait Descartes, et la méthode qui doit permettre à « moi qui connaît » de saisir « ce qui est à connaître », ont reçu un formalisme pratique et objectif , celui de la connaissance et du savoir opposés au mythe téléologique et à la déclinaison de ses dogmes.
Avec la théorie de l’évolution s’exprime une nouvelle méthode que mettront a profit, avec la fécondité que l’on sait, de Marx à Planck en passant par Freud, Durkheim, Jacob et tant d’autres, tous ceux qui, après Hegel, mais en récusant toute cause première et toute finalité ultime, démontrèrent que « le rationnel est réel et le réel est rationnel » .
Alors, pour se convaincre, si besoin est, que l’histoire a un sens à défaut d’avoir une fin, et que nous n’aurons pas à attendre une comète cataclysmique pour que « ça change », une occasion nous est donnée de « faire le point » sur la science « par excellence », celle de la vie, c’est à dire du devenir.
Urbain