A la suite d’un billet du Faucon, j’ai appris l’existence d’une polémique qui, maintenant, a suffisamment enflé pour faire une inflammation sévère avec un début de suppuration. Les faits rapportés sont gravissimes, l’heure est dramatique et probablement à verser au compte Des Plus Sombres De Notre Histoire. Il semblerait que Nadine Morano se soit exprimé.
Ok. Je sais, rien que ça, déjà, mérite une exclamation, un cri, une éructation, éventuellement ponctués d’un vilain blasphème tonitruant.
On lui avait pourtant bien dit, à la Nadine, de faire attention quand elle mettait sa langue en marche : si le bulbe rachidien et le liquide trouble qui lui sert de néocortex ne sont pas allumés aussi, il peut survenir des effets secondaires graves.
Et là, à en juger par la fine fleur de la presse française, c’est la gaffe monumentale : Nadine aurait gravement fôté en déclarant, je cite :
« On ne fait pas le procès d’un jeune musulman. Sa situation, moi je la respecte. Ce que je veux, c’est qu’il se sente français lorsqu’il est Français. Ce que je veux, c’est qu’il aime la France quand il vit dans ce pays, c’est qu’il trouve un travail, et qu’il ne parle pas le verlan, c’est qu’il ne mette pas sa casquette à l’envers. »
C’est ici, à ce point précis de son discours, que Morano aurait donc aidé le ventre fécond de la beuhête à accoucher d’une nouvelle palanquée d’heures les plus sombres de notre histoâre.
Et ça n’a pas traîné.
Réactions multiples et outragées de la gôche, et aussi, un peu, de la droâte : de Montebourg à Barouin, tout le monde se dit que finalement, cette histoire d’Identité Nationale avec des débats partout, ça fiche un peu les miquettes.
Pensez-donc ! Des gens disent des choses et parfois, ça choque.
Heureusement, le CRAN veille et il a fermement appelé Nadine à retirer ses propos « qui heurtent les valeurs de notre République et ne sont pas dignes d’un ministre. »
Côté ministre en question, la technique de parade est, comme d’habitude, la même : « tout ceci est sorti du contexte ».
Sur ce, la presse embraye aussi sec et enfonce le ventilateur, coincé en position « ouragan », dans le baquet de merde, en dirigeant l’ensemble du dispositif vers les Français, espérant ainsi que chacun aura son petit bout de caca.
Ça marche assez bien, d’ailleurs.
Mais voilà : moi, depuis le Climategate, les histoires de contexte me font lever un sourcil. Dire qu’une information gênante est « sortie du contexte » est un peu facile. Et comme d’un autre côté Morano n’est pas réputée pour avoir inventé l’eau chaude, je suis resté prudent. Il est arrivé, parfois, suite à une innocente pignouferie, que la presse dérape bêtement, comme ça, sans s’en rendre compte, et relate n’importe quoi. Et parfois, non.
J’ai donc attendu d’avoir la vidéo, l’enregistrement, … le contexte, quoi. Et la voilà.
(pour ceux qui n’aiment pas le contexte, c’est à partir de la 8ème minute)
Le constat est sans appel : Nadine a bien dit qu’elle n’aimait pas les jeunes musulmans qui mettaient leur casquette à l’envers et qui parlent verlan. Notamment pour trouver un emploi.
Et …
Et c’est tout.
Dans le fameux contexte (et même en dehors), elle donne donc son opinion sur ce que devrait être, finalement, un jeune moyen qui cherche à s’insérer, et qui n’aurait donc pas, dans ce – fameux – contexte, la casquette aussi à l’envers que son langage par ailleurs châtié.
Il n’y a, effectivement, aucun doute : c’est cucul. C’est positivement idiot de relier le port de casquette, le verlan et l’insertion ou l’employabilité. A la limite, c’est même un peu confus ou ça participe d’un discours à plusieurs niveaux, subtilité que la ministre a manifestement du mal à gérer.
Mais objectivement, demander à jeune (musulman ou épépineur de groseilles) de mettre sa casquette droit et parler correctement, surtout lorsqu’il cherche un emploi, ce n’est pas vraiment violent comme conseil. C’est du bon sens. D’ailleurs, les musulmans présents dans la salle à ce moment ne semblent pas s’être offusqués à commencer par Amed Bellal, membre du Conseil Régional du Culte Musulman de Lorraine.
Que nous reste-t-il donc, une fois les faits observés ? Il nous reste des propos qui frisent la banalité consternante pour la plupart et une petite saillie vaguement idiote faisant le lien entre tenue vestimentaire décalée, langage, et insertion, qu’on peut à la limite qualifier de légèrement inappropriée.
Partir sur le chemin sinueux et parsemé d’embûches, comme Hamon, de l’outrance, de la tempête rouspétante, c’est se moquer du monde quand on héberge dans son propre parti des gens comme Frêche ou Vals (et ses « white » et ses « blancos »)… Le Deux Poids Deux Mesures que dénonce Falcon dans son billet est parfaitement exact : nous retombons ici dans la politique politicienne à deux cents.
Maintenant, ce qui m’enquiquine bien plus, ce ne sont pas les saillies pénibles de Morano sur les casquettes et le verlan. L’outrance des réactions est au moins aussi pénible, mais dans la parfaite lignée de ce que notre pays produit habituellement : oui oui, on sait, on frôle le fascisme, le ventre de la bête il est tout fécond tout ça, et zeures les plus soôôombres argh.
Non, ce qui m’horripile, c’est le manque absolu, total et compact de réactions sur les premières minutes de la vidéo (à 2:52, notamment) : parlant de l’immigration, « La France a fait des erreurs et on peut tous se poser des questions« .
Eh bien non, Nadine. La France, elle n’a pas fait d’erreur. La France, c’est un pays, une population, mais ceux qui, dans le cas présent, ont fait des erreurs, ce sont les politiciens, comme toi, qui ont fait d’énormes conneries en utilisant ces vagues d’immigration comme, justement, des sujets et des objets de politiques politiciennes. Ce sont ces politiciens, sur les trente dernières années, qui ont utilisé ces populations à la fois comme des réservoirs de voix électorales, moyennant moult promesses, maints arrangements, et à la fois comme des cibles simples de maux réels ou imaginaires.
Ce sont ces mêmes politiciens qui, en minant, années après années, le débat sur ce qu’une nation peut encaisser comme changement et dans quel contexte, ont fait des erreurs colossales : tétanisant l’adversaire à coup de « Sale raciss’ » dès qu’un sujet vaguement sensible était lancé, on a fait en sorte que, justement, le débat n’existe plus et même que l’ensemble du sujet devienne à ce point tabou qu’évoquer une tenue vestimentaire devienne rapidement explosif.
Alors à présent, c’est le bal des pignoufs qui s’en donnent à cœur joie : les bienpensants dégoulinants de moraline épaisse qui veulent donner la leçon à la ministre, ceux qui utilisent – encore ! – cette histoire pour se faire mousser politiquement ; c’est un vrai festival de bondieuseries républicaines, main sur le cœur et étendard en berne, avec du « tout de même, un ministre, sortir ça, m’ame Michu ! ».
C’est, en un clin d’œil et d’une habile giclée de bouse au ventilo, une parfaite illustration de la valeur du journalisme et de la politique française.