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"THE SAINT OF FORT WASHINGTON" ( 1993 ) de Tim Hunter

Par Charlyh

Et alors que je pensais éventuellement éviter ces marronniers éditoriaux consacrés aux sans-abris et les chutes de température en cet hiver et la nuit plus particulièrement, non, avoir écouté d’une oreille pas si distraite que ça le journal télévisé de ce soir  m’a rappelé combien de telles conditions de (sur)vie ne sont pas si simples ( et ce que ce soit l’hiver ou l’été, contrairement à ce qu’une majorité de quidams pourrait croire ).
Et c’est aussi ainsi que je me suis rappelé du film de ce soir, qui trône dans ma vidéothèque :


« LE SAINT DE MANHATTAN » ( 1993 ) de Tim Hunter

Si le film commence sur l’histoire ( narrée par la très belle voix de Danny Glover ou son doubleur selon la version ) d’un jeune Africain à qui tous les animaux de la forêt vont voler ses belles fringues mais pas son honneur, cette allégorie passée, la véritable histoire tragique et émouvante du scénario de Lyle Kessler, qui signait là son dernier scénario pour le cinéma, peut commencer.
Jeune schizophrène sortant tout juste d’une hospitalisation psychiatrique, Matthew ( brillamment interprété par le magnifique Matt Dillon ), découvre que non seulement sa mère l’a abandonné mais qu’en plus les complications administratives de tout gouvernement qui soient l’empêchent d’obtenir les quelques dollars qui pourraient lui servir à s’en sortir ne serait-ce que quelques temps dans les rues de la Grosse Pomme.
Ainsi, Matthew se retrouve-t’il à la rue. Et alors qu’il a décroché des drogues mais n’en reste pas moins un garçon fragile, le voici livré à lui-même et à la violence et cruauté d’un quart-monde qu’il ne connait pas. Jusqu’à ce que son errance croise la route de Jerry
( Danny Glover ), cinquantenaire marié et père de famille qui a vu son existence soi-disant parfaite d’entrepreneur ruinée par son associé et le propulse à la rue.
Figure paternelle respectée dans ce monde de sans-abris, Jerry va céder et prendre sous son aile cet oisillon tombé du nid…

Et le réalisateur Tim Hunter ( réalisateur depuis spécialisé dans des séries télévisées comme « L’Homme de Nulle Part », « Carnivale, La Caravane de l’Etrange », »Deadwood » ou la récente « Sons of Anarchy ») d’entrainer ses rares spectateurs dans une émotion crescendo accompagnant la rencontre, l’adoption l’un de l’autre, leurs rêves et la désillusion violente d’un retour à leur triste réalité jusqu’au final que je ne vous révélerai pas si ce n’est qu’il fait partie des fins de films qui me fait encore chialer comme une madeleine lorsque je regarde à nouveau ce très beau film.
Porté par les interprétations magnifiques de justesse et sensibilité de Matt Dillon, superbe acteur de la X Generation découvert dans les excellents « OUTSIDERS », « RUSTY JAMES » et « DRUGSTORE COWBOY », aussi crédible dans son rôle de jeune schizophrène drogué désintoxiqué qui aime à prendre des photos de son appareil sans aucune pellicule dedans qu’il l’était en drogué allant et venant entre désintox’ et casses et shoots dans ce même « DRUGSTORE COWBOY » de Gus Van Sant, et le jeu parfait et sans excès d’un Danny Glover, qui excelle ici dans ce rôle plus que dans ses cabotinages de sidekick dans la saga de buddy movies des « ARME FATALE », ce « SAINT DE MANHATTAN » ( « FORT WASHINGTON » en VO du nom de l’un de ces centres d’accueil aux sans-abris new-yorkais dont on découvre la cruelle existence et véracité dans une bonne partie du film, l’équipe y ayant filmé presque à l’arrach’ et caméras cachées sous la protection de bodyguards et vigiles si je me souviens bien d’interviews et articles de l’époque ) sorti le 3 novembre 1993 sur trop peu d’écrans hexagonaux aura effectivement et malheureusement pas connu assez de succès en faisant un film méconnu, quasiment anecdotique ou confidentiel selon vos avis.
Plongée dans ce quart-monde ( a contrario du tiers-monde des pays africains et sous-développés étrangers ) des sans-abris, SDF et autres laisses pour compte que la vie n’aura pas loupé, ces naufragés du rêve américain ( dont la récente crise économique mondiale n’aura fait qu’augmenter et exploser le nombre, après des drames comme Katerina aux USA, etc, etc ) dont on veut bien entendre parler mais surtout ne pas voir l’existence, bien qu’américain puisque film américain ( mais je ne crois pas que la misère est de frontières, de couleur, d’ethnie, de culture ou de religion ), le film de Tim Hunter peut aussi être considéré comme une piqure de rappel pour certain(e)s à travers le personnage de cet investisseur de Danny Glover, dont la chute professionnelle n’a fait qu’entrainer une dégringolade sociale et une exclusion au ban de cette même société ( un peu comme ce que s’efforce de vouloir éviter le personnage de Ray Drecker en se prostituant dans la nouvelle série « Hung » ). Ce même Jerry ayant beau avoir été un de ses héros de la morale et de l’esprit patriotique américain en revenant du Vietnam handicapé par des éclats de shrapnels dans l’un de ses genoux, comme il a beau avoir été un parfait exemple consumériste et économique de ce rêve américain mercantile et économique en se faisant son propre auto-promoteur, Jerry sera aussi une figure représentative de la misère sociale et d’une certaine exclusion, en échappant aux clichés du SDF alcoolique tout de même.
Si Jerry a côtoyé, tutoyé et caressé le dieu Dollar, il en aura aussi connu des revers que la réalisation ni le montage ne nous révèlent, ne gardant que le meilleur de son esprit d’adaptation et de survie, allant apprendre à ce jeune Matthew comment passer du temps au chaud dans certains endroits sans se faire repérer et risquer ainsi de s’en faire virer : leur premier échange verbal dans ce coffee-shop en étant les bases d’une survie urbaine à retenir.
Ce film restant un triste témoignage de son époque, de notre époque et de ce qui peut attendre tout le monde à n’importe quel moment de son existence, si jamais vos rêves et aspirations ne prenaient pas le chemin dont vous en rêvez depuis des années. Un film aux allures de documentaire plus que documenteur avec son immersion dans un monde et un univers que personne ne voudrait être amener à côtoyer d’une manière aussi proche, le spectateur lambda ayant déjà du mal à tendre la main vers celle qui quête ou juste lui échanger un sourire pour réponse négative et gênée de ne pouvoir rien faire.

Et même si ce film d’une centaine de minutes peut parfois prendre des allures utopiques de conte et merveille en rebondissant sur ce titre de « SAINT », Matthew semblant avoir comme tant d’innocents dans un monde christique un pouvoir d’imposition des mains ( son toucher soulageant la douleur et les maux de ses proches : le souvenir du Vietnam de Jerry, l’arthrite du vieux Spits,… ), la dure et cruelle réalité n’est jamais loin, surtout lorsque les conditions climatiques hivernales obligent les forces de police à emmener contre leur gré nos protagonistes à nouveau dans ce Fort Washington, où la brute épaisse de Little Leroy ( Ving Rhames, débutant ayant affirmé sa carrière au fil de « PULP FICTION », la trilogie des « MISSION : IMPOSSIBLE » ou « L’ARMEE DES MORTS » de Zack Snyder ) dont l’Afro-Américain Jerry protège son fils ( adoptif dans leur galère commune ) Blanc Matthew, qui avec son innocence et la gentillesse et bienveillance y associées semble parfois, effectivement, être cet apôtre d’une entraide même en plus démunis plutôt que l’un de ses charognards profitant du malheur des autres.
Car si Jerry, Matthew, Spits ( Joe Seneca aperçu dans « MALCOM X » ou « KRAMER CONTRE KRAMER » ) et le futur père de famille bien qu’à la rue Rosario ( Rick Aviles, criminel dans « GHOST », mafiosi dans les « PARRAIN 3 » ou « L’IMPASSE » mais aussi survivant dans « WATERWORLD » ) essayent de s’en sortir par tous les moyens légaux que peuvent leur donner des petits travaux et leur débrouillardise, quitte à faire rêver à nouveau au chimérique self-made rêve américain Jerry ( dans une très belle scène d’un avenir hypothétique et onirique y incluant Matthew dans une autre Amérique ), le profit à l’encontre d’autres et l’argent facile du racket, du trafic et de la violence est l’autre pendant de cette exclusion incarné par le massif Little Leroy – qui de la rue n’en connait rien si ce n’est ses survivants qui viennent chavirer et s’échouer de Charybde en Scylla la nuit venue dans ce Fort Washington.

Autopsie ( new-yorkaise ) d’un monde alors méconnu ou que l’on ne voulait pas connaître, « LE SAINT DE MANHATTAN » serait aujourd’hui le miroir sur une réalité que les travers et coups durs d’aujourd’hui vous crachent à la figure, si ce film avait connu plus d’audience et de spectateurs.
Vous faisant peut-être comprendre pourquoi des fois ces fameux centres d’accueil dont les médias aiment à vous rappeler l’existence et les noms, en même temps que le numéro téléphonique 115 du Samu Social, sont des endroits que cherchent à éviter ces SDF, ces clochards – de plus en plus nombreux et dont je ne crois pas que les rangs vont cesser d’augmenter. Et ce quelques soient leurs origines, même si  la misère cinématographique de Tim Hunter pouvait laisser croire que seuls les Blacks ou blancs handicapés ( mentaux ou physiques ) ou vieux ( le troublant personnage du SDF Grec en quête de son pays avec sa carte postale, Reuben Schafer dans son dernier rôle ) pouvaient se retrouver à la rue. Et quelque soit leur sexe, même si Bahni Turpin, actrice TV en devenir, y est la seule femme dans le rôle de la compagne de Rosario ).
Cette fiction étant une pauvre réalité de laquelle on essaye parfois d’échapper via le cinéma mais dans laquelle aussi le cinéma sait nous replonger à d’autres moments, lorsque vous vous donnez la peine de consulter les programmes à l’affiche. Et je me souviendrai de cette salle presque vide d’un cinéma parisien aux pieds de Beaubourg dans lequel je pus, finalement, pleurer en toute discrétion tandis que Jerry ( Danny Glover ) finissait de nous raconter son histoire dans laquelle il voudra encore croire et que le générique de fin se mettait à défiler devant mes yeux embués.

Vous pouvez éteindre votre poste de télévision et repenser à la chance que vous pouvez avoir, de me lire par exemple, signe que vous êtes quelque part au chaud ( du moins peut-on l’imaginer ) avec une connexion internet : vous êtes à l’abri du froid, n’est-ce pas ?
Moi aussi et je le sais et ne l’oublie pas…
Fiche IMDB ( en anglais ) du film
Samu Social, le site
Samu Social de Paris, le site

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