Magazine Cinéma
Lorsqu’il y a 10 ans, je me suis branché pour de bon sur Internet, Ghost Dog venait de m’ensorceler. Résultat j’ai commencé à surfer sous le pseudo Chien Fantôme sur quelques sites de ciné, sous l’influence de l’œuvre et du personnage créés par Jim Jarmusch. C’est anecdotique, mais cela indique suffisamment l’influence cinéphile qu’a eue le cinéaste new-yorkais sur moi. J’ai encore deux ou trois lacunes dans la filmographie du bonhomme, mais je la connais et la respecte assez pour ne pas avoir résisté à l’appel de son nouveau long-métrage…
C’est donc en admirateur que je m’exclame « Mais qu’est-ce qui t’a pris Jim ?!?! ». Si l’errance a toujours été un thème de prédilection du cinéma de Jarmusch, l’errance dépasse avec The Limits of Control la frontière du sujet pour prendre corps dans la démarche artistique. J’en suis encore bouche bée, bloqué à cette expression qui était la mienne lorsque le générique de fin a commencé à défiler.
Pouvait-il faire plus énigmatique ? Plus vain ? Plus soporifique ? J’ai bien peur que non. Combien de temps y ai-je cru ? Vingt minutes peut-être ? L’allure énigmatique du projet a d’abord belle allure, séduisant par sa cocasserie. Isaach de Bankolé tueur à gages se voyant assigné une mission incompréhensible par deux types incompréhensibles. Des étapes successives, nonchalantes et vides, aux quatre coins de l’Espagne, mettant le tueur au contact d’intermédiaires au rôle indéfini, à la nécessité clairement nulle. Une longue errance le menant enfin vers le point de convergence final, attendu. Trop attendu.
Le problème de The Limits of Control, c’est qu’on y trouve seulement l’art du cadre et des personnages décalés de Jarmusch. Certes il parvient à parsemer son film d’une ou deux séquences amusantes ou séduisantes, mais le reste ne vient et ne mène nulle part. Scénaristiquement, c’est le néant absolu. Jarmusch répète les mêmes séquences à outrance, ne changeant que l’interlocuteur de Bankolé. Sinon, c’est le même rituel, les mêmes gestes, les mêmes répliques qui se multiplient pendant deux heures.
Deux expressos, deux boîtes d’allumettes, « La vida no vale nada », « Usted no habla español, verdad ? ». Une fois que vous avez vu ou entendu ces éléments, le reste n’est qu’une énième répétition de ce qui vient de se jouer dans la séquence précédente. Les personnages que Bankolé, mutique à l’extrême, croise sont tellement opaques qu’ils en deviennent transparents. C’est une errance, la forme ultime de l’art de Jarmusch, qu’il poursuit dans chacun de ses films, l’errance de Dead Man, la dérive de Ghost Dog, la quête de Broken Flowers, qui se retrouve, comble ultime, dans le savoir faire disparu de Jarmusch.
Le paroxysme du film, tant au niveau de la supposée tension dramatique que de l’errance de Jarmusch cinéaste, se trouve dans l’aboutissement de la mission du tueur à gages, par lequel le cinéaste se réfugie dans une des ellipses les plus faciles et ridicules qui soit.
On pourra dire ce que l’on veut, lui attribuer de nombreuses paraboles, métaphores, et intentions de discours sur l’état du monde et de l’influence néfaste du capitalisme à outrance, symbolisé par l’homme à abattre, au final, l’image qui reste est celle d’un cinéaste tournant à vide, préférant nous laisser tout le travail de l’imagination plutôt que de se le permettre une seule seconde. Si ce n’est que de l’apparence, je m’en excuse bien bas Jim. Mais quelles qu’en soient les raisons, The Limits of Control teste avec trop d’insistance nos limites de spectateurs. Jusqu’à épuisement.